Avant-propos

« Les patrimoines militaires et leur étude : matérialités, reconnaissance et mémoire »

Notes de la rédaction

Numéro coordonné par Quentin Muller & Eloi Vincendet

Texte

Il est méritoire pour de jeunes chercheurs d’entreprendre une direction de publication qui mette en valeur les travaux issus de deux rencontres scientifiques qu’ils ont eux-mêmes organisées. La première s’est tenue à Caen les 4 et 5 juin 2021, la seconde à Verdun les 3 et 4 juin 2022, dans le cadre du Groupement d’Intérêt Scientifique Patrimoines militaires : architectures, aménagements, techniques et sociétés 1, qui s’est donné pour mission de structurer la recherche et les initiatives de chercheurs de différentes disciplines, souvent isolés dans leurs laboratoires ou leurs institutions et dont les travaux portent sur l’architecture, la ville et les productions matérielles militaires.

Sous l’intitulé Les patrimoines militaires et leur étude : matérialités, reconnaissance et mémoire, ce numéro de la revue en ligne Mosaïque présente un ensemble de textes issus de ces deux journées ainsi que plusieurs comptes-rendus qui abordent les problématiques actuelles auxquelles sont confrontés les jeunes chercheurs qui s’engagent dans un domaine encore fragile. L’introduction utilement historiographique de Quentin Muller et Eloi Vincendet est, à ce titre, éclairante. On y saisit combien de nombreux points aveugles subsistent malgré le renouvellement tant des travaux sur le patrimoine militaire que des approches telles que, notamment, l’histoire matérielle, l’histoire spatiale et le tournant archivistique. L’intérêt du présent volume est d’illustrer qu’il est également possible d’élargir ce spectre d’outils méthodologiques en mobilisant d’autres méthodes et en croisant les approches.

Ainsi, l’étude de Valentina Burgassi, qui porte sur le vocabulaire technique de la fortification sur les chantiers du royaume de Piémont aux xviie et xviiie siècles, lieu de croisement de professionnels et de corps ouvriers issus de différentes régions, éclaire combien le recours aux approches lexicologiques peut être fructueux. Documenter le chantier par l’étude des mots techniques qui y sont employés, et retracer leur généalogie permet de mieux connaître les outils et les gestes qui les accompagnent dans le temps. Ce sont aussi, comme toujours dans le domaine militaire, des processus de sédimentation à l’œuvre qui font, tour à tour, apparaître ou disparaître des savoir-faire et des usages. Comment les connaissances se sont-elles croisées ? Quels ont été les obstacles à ces rapprochements ? Comment l’histoire peut-elle encore nourrir la connaissance des pratiques d’entretien et de restauration ? À partir de quels corpus ? Au-delà de la création d’un glossaire, l’enjeu de l’article de Valentina Burgassi est ainsi de mieux saisir comment articuler histoire et projet d’intervention. Un autre élargissement des approches concerne la mise en valeur, à partir des années 1990, des objets du point de vue de leurs techniques dans les musées militaires. C’est le cas tout particulièrement du musée de l’Armée, qui revoit alors dans cette approche la présentation muséographique de plusieurs salles, revenant ainsi aux fondamentaux du musée d’Artillerie à ses origines. Cet article de Christophe Pommier explicite également des mécanismes de patrimonialisation et de muséification qui sont constitutifs de l’histoire de l’Hôtel des Invalides.

Le numéro est complété par un ensemble de quatre comptes‑rendus d’ouvrages récents, parus entre 2019 et 2022, dont les trois premiers explorent les différentes formes d’interaction qui animent les sphères militaires et civiles dans des espaces à différentes échelles. Le premier, relatif à L’Armée dans la ville, met en lumière la complexité des relations civiles et militaires allant de la séparation jusqu’à la cohabitation apaisée et l’hybridation des lieux et des usages qui en découlent. Le deuxième, qui a trait aux marqueurs mémoriels de la guerre et de l’armée, pose la question du rôle de la présence militaire dans la construction des paysages urbains et périurbains. L’interaction et la compétition qui s’engagent ici sont fondées sur l’étude d’espaces mémoriels commémorant de mêmes événements comme la bataille de Verdun ou la bataille de la Marne. Le troisième compte-rendu sur Le poids des infrastructures militaires (1871-1914) dans le Nord-Pas-de-Calais aborde la question des relations complexes entre acteurs civils et militaires liées au devenir des infrastructures militaires aménagées dans le Nord-Pas-de-Calais après la défaite de 1871. Entre menaces, craintes et profits, ce patrimoine fait l’objet de négociations permanentes. Enfin, dans une veine différente, la quatrième recension sur Les combattants des fronts de l’Atlantique. Poches du Médoc et de Charente-Maritime 1944–1945 explore les coulisses des armées modernes à travers l’exemple des poches du Médoc et de Charente-Maritime entre 1944 et 1945, dont les conditions d’existence des combattants sont étudiées en finesse.

On ne peut donc que se féliciter de la parution de ce numéro dont chacun des textes rend compte de l’important renouvellement de la recherche et des réflexions menées sur les nouvelles orientations du patrimoine militaire.

Notes

1 https://patmilitaire.hypotheses.org/, consulté le 13 juin 2024. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Émilie d’Orgeix et Nicolas Meynen, « Avant-propos », Mosaïque [En ligne], 19 | 2023, mis en ligne le 01 août 2023, consulté le 15 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/mosaique/2288

Auteurs

Émilie d’Orgeix

Directrice d’études, EPHE-PSL, Histara – EA 7347.

Nicolas Meynen

Maître de conférences en histoire de l’art contemporain, Université de Toulouse – Jean Jaurès, FRAMESPA – UMR 5136.

Droits d'auteur

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