Reconnaissance de mots en L2 chez les bilingues tardifs français-anglais : transfert d’une modalité sur l’autre

DOI : 10.54563/mosaique.268

Résumés

Les études sur l'apprentissage d'une langue seconde (L2) ne tiennent souvent compte que d'une seule modalité au cours des tâches expérimentales. Or, l’apprentissage d’une L2 a majoritairement lieu en contexte scolaire (bilinguisme tardif), principalement via des supports écrits. Notre étude questionne donc l’impact de la modalité, notamment sur la reconnaissance de mots en L2. En conditions expérimentales – i.e., de reconnaissance de mots isolés, on peut s'attendre à ce que les mots soient mieux reconnus à l’écrit qu’à l’oral.
Quarante-huit étudiants français ont effectué des tâches de reconnaissance de mots en anglais L2 à l’oral et à l’écrit. Les données ont mis en avant l’effet de modalité attendu. L’analyse de l’impact de la première présentation des mots, écrits ou parlés, ne montrait pas d’amélioration de leur reconnaissance dans l’autre modalité. Ces résultats soulignent l’importance de la modalité dans la reconnaissance de mots en L2 et la faible incidence du traitement d’une modalité sur l’autre.

Studies on second language (L2) learning often consider only one modality during experimental tasks. However, the majority of L2 learning takes place in a school context (late bilingualism), mainly via written materials. Our study thus questions the impact of the modality, especially on L2 word recognition. Under experimental conditions – i.e., during isolated word recognition, we can expect that written words are more accurately recognized than spoken words.
Forty-eight French students performed spoken and written word recognition tasks in L2 English. The data highlighted the expected modality effect. Analysis of the impact of the first presentation of words, whether written or spoken, showed no improvement in their recognition in the other modality. These results underscore the importance of modality in L2 word recognition and the small impact of one modality's treatment on the other.

Index

Mots-clés

Bilinguisme, Reconnaissance de mots, Effet de modalité, Transfert inter-modalité

Keywords

Bilingualism, Word recognition, Modality effect, Inter-modality transfer

Plan

Texte

Les auteurs remercient la Région Hauts-de-France et l'Université de Lille pour les subventions ayant rendu cette étude possible. L'étude bénéficie également du projet APPREL2, subvention ANR-16-CE28-0009-01.

Introduction

Dans la société actuelle, fortement mondialisée, la maîtrise d’une langue seconde (L2) est importante pour l’intégration socio-professionnelle de tout individu. Or, maîtriser une langue autre que sa langue maternelle (L1) signifie être capable de comprendre des énoncés écrits et parlés, ainsi que de produire de tels énoncés de manière intelligible par un interlocuteur. Les processus de traitement des mots en L2 doivent donc être efficaces, à l’écrit comme à l’oral. C’est pourquoi les chercheurs en psycholinguistique s’intéressent particulièrement à ce traitement lexical, afin d’en comprendre les mécanismes, et ainsi expliciter les différences fondamentales entre les langues et déterminer les causes des difficultés présentées par certains individus. C’est dans ce cadre de l’étude expérimentale du traitement du langage en contexte bilingue que se place la présente étude, qui vise à déterminer l’impact de la modalité1 (écrite ou orale) sur la précision de reconnaissance de mots en L2 et l’incidence du traitement d’une modalité sur le traitement de l’autre.

Les liens entre nations sont de plus en plus favorisés, notamment depuis la construction de l’Union européenne, et ce dans tous les domaines de la vie quotidienne (professionnel, privé, loisirs, … ; DGESCO et al., 2015; Legendre, 2004). C’est dans ce cadre que le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports (2019) a désigné l’enseignement de la L2 comme une des clés fondamentales nécessaires à la communication et à l’intégration avec les pairs étrangers. Parmi les langues existantes, la langue anglaise est reconnue comme langue prioritaire (de par son utilité) par la majorité des Européens (European Commission, 2012).

Il convient de noter que l’apprentissage des langues a lieu majoritairement en contexte scolaire dans la plupart des pays européens (ce qui concerne jusqu’à 78% des Français – European Commission, 2012). Il débute en France dès la maternelle par un éveil à la diversité linguistique. Il se poursuit à l’école élémentaire, dès le CP, de façon un peu plus formalisée. Mais, ce n’est qu’à l’entrée au collège qu’un enseignement adapté, par constitution de groupes de compétences, est mis en place de manière plus soutenue et réellement formalisée, faisant au bout de plusieurs années de nos apprenants français des « bilingues2 tardifs français-anglais ». Il convient de remarquer que les modalités pratiques de cet apprentissage en contexte scolaire entraînent une faible exposition à la L2 et une prédominance des supports écrits, et ce malgré la volonté des enseignants de privilégier la modalité orale, l’accentuation de la pratique orale n’ayant lieu qu’au lycée. L’apprentissage de la L2 mobilise ainsi davantage les systèmes réceptifs et productifs écrits que leurs homologues oraux.

La langue étrangère la plus généralement enseignée en collège-lycée en France est l’anglais. Les conditions classiques de son enseignement entraînent un biais d’exposition à la modalité écrite. En effet, les apprenants français sont alors, troubles du langage mis à part, des lecteurs dits experts. Ils ne présentent donc pas (ou peu) de difficultés de lecture en français. Par ailleurs, l’enseignement a lieu en classes de 25 à 30 élèves en moyenne, pour une durée de trois heures par semaine, environ 30 semaines par an. L’exposition à la L2 est donc faible, et le recours à la modalité écrite favorisé (pour permettre une trace nécessaire à une mémorisation efficace et parce que le temps plutôt court dévolu à cet apprentissage ne permet pas à chacun de pratiquer la L2 à l’oral de façon efficace). Par ailleurs, un apprentissage de l’anglais se fait également en contexte extra-scolaire via l’exposition aux médias (De Wilde et al., 2020).

Ainsi, en dépit de la volonté de certains enseignants de privilégier la modalité orale, l’apprentissage de la L2 en contexte scolaire se caractérise par un biais d’exposition en faveur de la modalité écrite. Étant donné ces caractéristiques de l’apprentissage scolaire, il est pertinent de se poser la question des performances des bilingues tardifs français-anglais confrontés à la reconnaissance de mots anglais dans les deux modalités : orale et écrite. Notre étude, menée dans le cadre de la psycholinguistique et de l’étude expérimentale du traitement du langage, cherche à tester l’impact de la modalité en plaçant les participants face à des tâches de reconnaissance de mots isolés (c'est-à-dire hors contexte d’une phrase). Afin de comprendre les enjeux principaux de la présente étude, nous présenterons un aperçu des divers modèles psycholinguistiques de reconnaissance de mots et de quelques études déjà publiées dans ce domaine, avant de présenter notre étude expérimentale proprement dite.

Les modèles psycholinguistiques de reconnaissance de mots

De nombreux modèles psycholinguistiques ont été proposés pour décrire la reconnaissance de mots, à l’oral et à l’écrit, en L1 comme en L2. Par souci de concision et d’efficacité, nous ne détaillerons ici que le modèle de reconnaissance de mots écrits principalement admis en L1, avant de présenter un modèle adapté en L2.

En L1, le modèle de reconnaissance et lecture de mots à voix haute le plus consensuel est le modèle de la double voie (Coltheart et al., 2001). Il présuppose l’existence de deux voies possibles de traitement des stimuli écrits : les voies phonologique et lexicale (voir Figure 1). La voie phonologique repose sur les règles de conversion graphème-phonème3 (CGP). Ces règles sont utilisées par les lecteurs pour décoder les mots nouveaux et les pseudomots4 (BIMIR en français). La langue écrite est ainsi assimilée à un code, les mots écrits pouvant ainsi être décodés grâce aux CGP (à savoir lus à haute voix, donc associés à une forme phonologique, la plupart du temps déjà connue, l’acquisition de la L1 ayant majoritairement lieu par bain langagier quotidien). Cette forme phonologique est donc le résultat du processus de décodage – donc de CGP. Afin de permettre une lecture fluente, le décodage doit donc être efficace. Ceci dépend au moins en partie de la langue considérée, et notamment de la consistance de son orthographe5. Ainsi, moins l’orthographe est consistante, moins les CGP sont systématiques (un graphème pouvant se prononcer différemment selon les situations – par exemple le graphème « t » se prononce différemment au début et à la fin du mot « situation »), et plus le lecteur est en difficultés pour le décodage des mots nouveaux et des pseudomots. À contrario, la voie lexicale correspond à un accès direct, via l’analyse des lettres composant les mots, à la forme orthographique des mots familiers (déjà présents dans le lexique mental du lecteur, car déjà rencontrés plusieurs fois), ce qui permet l’activation subséquente de la forme phonologique associée. Cette dernière renvoie à la même notion que pour la voie phonologique, mais elle a préalablement été mémorisée grâce à l’exposition précédente au même mot écrit.

Figure 1. Modèle de la double voie (adapté de Coltheart et al., 2001).

Figure 1. Modèle de la double voie (adapté de Coltheart et al., 2001).

En ce qui concerne la reconnaissance des mots écrits en L2, différents modèles ont aussi été proposés. Celui qui semble le plus adapté au cadre de cette étude est la version développementale du modèle d’Activation Interactive Bilingue (BIA-d ; Grainger et al., 2010). En effet, celle-ci décrit le développement des connaissances lexicales en modalité écrite chez les bilingues tardifs. Il convient de noter que, par opposition au modèle de lecture et reconnaissance des mots écrits en L1 présenté plus haut, le modèle BIA-d ne comporte pas de voie phonologique dédiée au recodage phonologique. Il place comme question centrale celle des liens entre mots écrits en L1, équivalents écrits de traduction en L2 et concepts auxquels ils renvoient (cf., Figure 2). Au début de l’apprentissage de la L2, ce modèle présume un accès indirect au sens des mots via les équivalents de traduction (par exemple « pencil » en anglais active « crayon » en français, lui-même renvoyant au concept associé). Progressivement, à mesure que l’exposition à la L2 augmente, les connexions entre équivalents de traduction des deux langues sont renforcées et des liens directs entre mots de L2 et concepts sont créés. Enfin, ces liens directs sont accrus, permettant aux liens entre équivalents de traduction de s’amoindrir, jusqu’à devenir des liens inhibiteurs (essentiels pour éviter la confusion entre les mots des deux langues). À ce stade, la lecture du mot « pencil » permet directement l’activation du concept de crayon, et inhibe la forme française, le traitement de l’anglais étant alors mis en exergue.

Figure 2. Le modèle BIA-d (d’après Grainger et al., 2010)

Figure 2. Le modèle BIA-d (d’après Grainger et al., 2010)

L1 et L2 : représentations orthographiques du mot, respectivement en L1 et en L2
S : signification, concept associé, représentation sémantique partagée
Flèches : connexions excitatrices / Cercles : connexions inhibitrices
Traits pleins : connexions plus robustes que les pointillés

Ce modèle semble particulièrement adéquat dans le cadre de notre étude, dont la population de référence est constituée de bilingues français-anglais dont l’apprentissage de l’anglais a eu lieu en contexte scolaire. Dans ce contexte, on parle au début d’apprentissage supervisé, pendant lequel l’enseignant indique aux élèves que le nouveau mot « pencil » en anglais correspond au mot « crayon » en français. Ceci favorise la création de liens lexicaux directs entre équivalents de traduction. Lorsque les liens directs entre mots de L2 et concepts sont établis, il est moins nécessaire de passer par les équivalents de traduction, ce qui facilite la compréhension et la production des mots en L2 (on parle alors d’apprentissage non supervisé).

Par ailleurs, ce modèle peut être intéressant dans le contexte d’une étude visant à déterminer l’impact de la modalité dans la reconnaissance de mots en L2. En effet, bien qu’il s’agisse d’un modèle établi initialement pour la reconnaissance de mots écrits en L2, et même s’il ne montre pas explicitement d’interaction entre les modalités, le modèle BIA-d s’applique également à la reconnaissance de mots parlés en L2, selon ses auteurs eux-mêmes (Grainger et al., 2010).

Les études sur la reconnaissance de mots en L2

Plusieurs études ont évalué la reconnaissance de mots isolés en L2, majoritairement à partir de tâches de décision lexicale, tâches dans lesquelles des items sont présentés au participant (à l’écrit ou à l’oral), ce dernier devant déterminer si les items sont des mots ou des pseudomots. À titre de résumé, elles sont récapitulées dans le tableau 1, par ordre chronologique. La plupart de ces études ont été réalisées en modalité écrite, et qui plus est auprès de participants très compétents en L2 (même si les conditions d’évaluation de cette compétence sont très variées d’une étude à l’autre). Elles ont mis en évidence un effet de lexicalité, avec des temps de réponse plus courts et un plus faible nombre d’erreurs pour les mots en L2 que pour les pseudomots. Cet effet de lexicalité a également été associé à d’autres effets (e.g., effet de la longueur des mots, de leur fréquence, …). Cependant, quelques études se sont concentrées sur des participants de compétence plus faible en L2, et certaines ont analysé la reconnaissance de mots parlés en L2.

Tableau 1. Quelques études de reconnaissance de mots en L2, classées par ordre chronologique

Étude Compétence en L2 Modalité Tâche utilisée
van Heuven et al., 1998 (Expérience 4) Élevée (cursus scolaire en L2) Écrite Décision lexicale
Dijkstra et al., 1999 Élevée (au moins 6 ans d’apprentissage de la L2) Écrite Décision lexicale
Spivey & Marian, 1999 Élevée (L2 comme langue principale d’usage depuis 4 ans minimum) Orale Compréhension de phrases
Lemhöfer & Dijkstra, 2004 Élevée (au moins 6 ans d’apprentissage de la L2) Écrite Décision lexicale
Weber & Cutler, 2004 Élevée (au moins 8 ans d’apprentissage de la L2) Orale Compréhension de phrases
Duyck, 2005 Modérée à élevée (exposition régulière à la L2) Écrite Décision lexicale
Duyck et al., 2007 Modérée à élevée (exposition régulière à la L2) Écrite Décision lexicale
Duyck et al., 2008 Faible à intermédiaire (exposition régulière à la L2 + au moins 5 ans d’apprentissage) Écrite Décision lexicale
Dijkstra et al., 2010 Élevée (L2 utilisée quotidiennement depuis 8 ans minimum, auto-évaluation du niveau en L2) Écrite Décision lexicale
Lagrou et al., 2011 Modérée à élevée (auto-évaluation du niveau en L2) Orale Décision lexicale
Veivo et al., 2015 Variable (cursus scolaire en L2, niveau de L2 évalué par Dialang de B1 à C2) Écrite et Orale Traduction
Oganian et al., 2016 Élevée (auto-évaluation du niveau en L2) Écrite Décision lexicale

En revanche, une seule équipe s’est attachée, à notre connaissance, à l’étude de la différence de traitement des mots en langue étrangère entre les deux modalités, en fonction du niveau de compétence en langue étrangère. Veivo et ses collaborateurs ont ainsi proposé à 35 étudiants finlandais dont le français est la troisième langue (L3) une tâche de décision lexicale5 auditive en français. Une semaine après, ils ont réalisé une tâche de traduction à partir de ces mêmes stimuli, toujours présentés à l’oral. Deux mois après ces tâches auditives, la même tâche de traduction était réalisée, mais avec une présentation orthographique des stimuli. Ils ont ainsi mis en évidence un effet de modalité, avec une meilleure reconnaissance des mots écrits que des mots parlés en L3 (score de traduction correcte plus élevé à l’écrit qu’à l’oral). De plus, ils constataient également un effet de fréquence interagissant avec la modalité de présentation des stimuli, les mots fréquents étant mieux reconnus que les mots rares, principalement en modalité écrite. Enfin, ces effets interagissaient avec la compétence en L3, ces différences étant encore plus importantes chez les bilingues très compétents par rapport aux bilingues moins compétents.

La même équipe a également mené une seconde étude, afin de vérifier si les résultats obtenus n’étaient pas liés aux deux mois séparant les deux tâches, et pendant lesquels les participants avaient pu continuer à progresser en français. Dans cette seconde étude, ils ont proposé exactement les mêmes tâches expérimentales, mais les deux tâches étaient réalisées l’une à la suite de l’autre. Dans ce cas, deux groupes de 14 participants ont été constitués pour permettre une comparaison des résultats en fonction des sessions (i.e., selon l’ordre de présentation des modalités : écrit puis oral, ou oral puis écrit). Les résultats obtenus suivaient quasiment le même pattern que dans l’étude précédente. En revanche, ils n’ont pas pu mettre en évidence d’effet de l’ordre des tests dans ce cas. Nous appellerons à partir de maintenant cet effet de l’ordre des tests « effet de session ». L’objectif est de vérifier s’il existe un transfert d’une modalité sur l’autre, autrement dit, de meilleurs résultats en session 2 qu’en session 1, les connaissances dans la modalité de la session 1 ayant été transférées à celle de la session 2, permettant l’obtention de meilleurs résultats (i.e., de moins d’erreurs et/ou de temps de réponse plus courts). Il convient de remarquer que dans ces deux études, la tâche utilisée (traduction) ne rend pas compte du lien existant entre les formes orthographiques et phonologiques des mots. Par ailleurs, le faible nombre de participants par groupe de la deuxième étude ne permet pas de formellement conclure quant à l’effet de session. Enfin, l’influence de la L2 sur les résultats obtenus en L3 n’a pas été évaluée.

Présentation de l’étude

Dans notre étude, nous nous interrogeons donc sur l’impact de la modalité sur la reconnaissance de mots en L2, auprès de bilingues tardifs1 français-anglais. Ces participants sont caractérisés par un lexique orthographique en L2 contenant un nombre limité de mots, en raison de leur compétence intermédiaire6 en L2. De plus, les conditions de l’apprentissage scolaire entraînent un biais d’exposition en faveur de la modalité écrite. Les apprenants ont donc moins d’occasions de créer des représentations phonologiques des mots en L2. Ils font donc davantage appel au décodage des mots rencontrés, en utilisant les correspondances orthographe-phonologie. Or, leur compétence intermédiaire en L2 (en termes de vocabulaire) ne leur permet pas d’être certains des correspondances à utiliser, notamment en raison de l’inconsistance des CGP4 (plus importante en anglais qu’en français, cf. Ziegler & Goswami, 2005) et de l’incongruence entre les CGP françaises et anglaises (certains graphèmes se prononcent différemment dans les deux langues).

Pour étudier l’impact de la modalité sur la reconnaissance de mots en L2, et son interaction avec l’effet de la compétence en L2, la présente étude a proposé des tâches de décision lexicale en anglais dans les deux modalités, à des bilingues tardifs français-anglais de compétence intermédiaire en anglais. Compte tenu de la prédominance de l’écrit dans l’apprentissage scolaire de la L2, nous nous attendions à trouver un effet de modalité, avec une reconnaissance plus précise des mots écrits que des mots parlés. Cette reconnaissance plus précise dans une modalité que dans l’autre est à bien différencier de l’hypothèse de la qualité lexicale, qui renvoie aux compétences de compréhension écrite, processus de traitement lexical bien plus complexe que la reconnaissance de mots, dont il est question dans cette étude (Perfetti, 2007, 2017 ; Perfetti & Hart, 2002). De plus, il s’agissait d’une étude exploratoire, afin de déterminer l’existence ou non d’un effet de session (c'est-à-dire une reconnaissance des mots plus précise lors de la seconde session), qui indiquerait un bénéfice – un transfert – d’une modalité sur l’autre. Enfin, étant donné les résultats en L3 de Veivo et al. (2015), nous nous attendions à ce que ces effets interagissent avec la compétence en L2. Ainsi, les participants les moins compétents sont présumés être particulièrement en difficulté à l’oral, ce qui pourrait alors augmenter l’amplitude de l’effet de modalité – c'est-à-dire de la différence de précision de reconnaissance des mots entre les modalités – et réduire l’effet de session.

Méthode

Participants. 50 étudiants français ont participé à cette expérience (37 femmes, 38 droitiers, âge moyen = 24 ans – écart-type = 4), tous issus d’universités du Nord de la France. Leur L1 était le français, et ils avaient appris l’anglais en tant que L2 à l’école en France. Ils avaient une vision normale ou corrigée et aucun problème d'audition. Aucun d'eux n'a fait état d'un quelconque trouble des apprentissages. Un participant présentant des difficultés dans le traitement du langage écrit, selon les pré-tests, a été exclu des analyses. Tous les participants ont donné leur consentement éclairé écrit et l'étude a été approuvée par le Comité d'éthique de l'Université de Lille (autorisation # 2018 -263-S58).

Les participants ont été répartis aléatoirement en deux groupes : un groupe de 24 participants réalisant d'abord la tâche en modalité écrite et ensuite en modalité orale (groupe E-O), et un groupe de 25 participants effectuant les tâches dans l'ordre inverse des modalités (groupe O-E).

Pré-tests. Différents tests ont été administrés aux participants, d’une durée globale d’environ 45 minutes, afin de s’assurer de la comparabilité des deux groupes constitués, en matière d’habitudes de lecture, d’expérience des langues, de compétences liées à la lecture et d’intelligence non verbale. Par ailleurs, le niveau de compétence en anglais des participants a été évalué par le test Dialang de l'Université de Lancaster (Dialang, 2021). Ce test permet l’obtention d’un score sur 1 000 : plus le score est élevé, plus le participant est compétent en anglais. Les deux groupes étaient statistiquement équivalents, évitant ainsi tout biais expérimental. Les données démographiques et les résultats du test de compétence en anglais sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2. Données démographiques et résultats des pré-tests

Tests Moyenne (Écart-type) Groupe E-O Moyenne (Écart-type) Groupe O-E
Âge
Genre (% de Fille)
Latéralité (% de droitiers)
Âge d’acquisition formelle de l’anglais L2
Fréquence de lecturea
Nombre de livres lus par ana
Exposition au françaisa
Exposition à l’anglaisa
Niveau socio-économiqueb
24 (5)
71
62,5
11 (1)
 
3.75 (1.22)
3.21 (1.14)
3.92 (0.28)
2.42 (0.65)
5.13 (1.29)
23 (3)
76
88
11 (0)
 
3.92 (1.12)
3.16 (1.07)
3.96 (0.2)
2.56 (0.51)
4.7 (1.13)
Niveau Dialang (ND – sur 1 000) 669.33 (168.10) 684.8 (153.99)
 
a auto-évaluations du participant sur une échelle de 1 (extrêmement faible) à 5 (extrêmement forte).
b niveau évalué selon le score Hollingshead qui tient compte du niveau d’étude et de la profession des deux parents (Hollingshead, 1975). Plus le score est élevé, plus le niveau socio-économique est important.

Stimuli. Pour les tâches de décision lexicale, 44 mots anglais ont été soigneusement sélectionnés pour respecter des critères stricts en termes de fréquence, de longueur, d’appartenance au lexique des mots couramment utilisés au cours de l’apprentissage scolaire de l’anglais en France. Un logiciel de psycholinguistique (Wuggy – Keuleers & Brysbaert, 2010) a ensuite permis la création de 44 pseudomots, eux-mêmes strictement appariés avec les mots, notamment en termes de longueur. Les items utilisés ne présentaient aucune ambiguïté quant au fait qu’il s’agissait de mots anglais ou de pseudomots. En particulier, il n’y avait pas de mot français inclus dans les listes.

Les stimuli parlés ont été enregistrés par deux locuteurs natifs (homme et femme de langue maternelle anglaise), afin de répartir aléatoirement les voix masculines et féminines entre les participants.

Procédure. Tous les participants ont été testés au sein de leur université sur le même ordinateur. Ils ont effectué deux tâches de décision lexicale en anglais, une à l’oral et une à l’écrit, avec 10 minutes de pause entre les deux. Pour chaque tâche, le participant devait déterminer le plus rapidement et le plus correctement possible si chaque stimulus présenté (à l’oral ou à l’écrit) était un mot ou un pseudomot. Chaque tâche était précédée d'essais d'entraînement avec un retour verbal de l'expérimentateur, permettant au participant d’assimiler quel bouton était associé à la réponse « le stimulus est un mot » et quel autre bouton était associé à la réponse « le stimulus n’est pas un mot, donc est un pseudomot ». La même liste de stimuli a été utilisée dans les deux modalités, avec un ordre de présentation des modalités dépendant du groupe d’appartenance du participant (groupes E-O ou O-E). Les participants ont donc effectué la tâche de reconnaissance en deux sessions : une dans chaque modalité. Les stimuli (mots ou pseudomots) étaient présentés au centre de l’écran (modalité écrite) ou diffusés par des haut-parleurs (modalité orale) jusqu’à ce que le participant réponde ou pendant 4 000 millisecondes maximum si aucune réponse n'était donnée. Nous avons enregistré la réponse (correcte ou non) à chaque essai.

Analyses statistiques. L'analyse des données a été réalisée avec le logiciel R (R version 4.0.3). Nous avons effectué les analyses statistiques suivantes. Nous avons analysé la Réponse (correcte ou incorrecte, et donc les scores de précision) de chaque participant sur les essais de mots uniquement7, afin de tester si des effets de Modalité et de Session pouvaient être observés ou non lors de la reconnaissance des mots en L2 et s'ils dépendent du niveau de Compétence en L2. Nous avons effectué les analyses principales sur la Réponse en utilisant un type d’analyse statistique fréquemment utilisé en psycholinguistique : la modélisation linéaire généralisée à effets mixtes (Baayen et al., 2008). Il s’agit d’une méthode permettant de déterminer quelle équation mathématique semble la plus pertinente pour déterminer a priori quelle devrait être la réponse d’un participant donné à un stimulus donné. Elle permet ainsi de déterminer quels facteurs doivent être inclus dans cette équation, parce qu’ils ont un impact non négligeable – donc statistiquement significatif – sur la pertinence de l’équation, et donc sur la reconnaissance de mots. Par ailleurs, cette modélisation est dite à « effets mixtes » car elle prend en compte des effets fixes (les facteurs évoqués précédemment) ainsi que des effets aléatoires, prenant en considération la variabilité liée aux participants et aux stimuli utilisés. C’est ce qui assure la possibilité de généralisation des résultats obtenus à la population et aux mots de référence. Dans un souci de concision, nous ne détaillerons pas ici les étapes de cette modélisation, ni l’équation mathématique complexe qui en résulte. Nous présenterons dans la section des résultats uniquement le modèle final défini, avec les différents facteurs identifiés comme pertinents, en expliquant comment ceux-ci agissent – voire interagissent entre eux – au cours de la reconnaissance des mots en L2. Nous n’avons pas analysé les temps de réaction dans cette étude car : a) ceux-ci sont par nature très différents à l’oral et à l’écrit ; et b) l’objectif de l’étude étant l’analyse de la précision, nous avons choisi les items de manière à éviter tout effet plafond ou plancher en termes de précision, ce qui empêche donc une analyse correcte des temps de réaction, cette dernière nécessitant des taux de précision élevés.

Résultats

Les principaux résultats sont présentés dans le tableau 3. On constate une différence de trois points de précision entre les Modalités en Session 1, la reconnaissance des mots en L2 étant plus précise en modalité écrite qu’en modalité orale. Afin de déterminer si ceci constitue un véritable effet de modalité, et donc si cette différence est statistiquement significative, une modélisation linéaire généralisée à effets mixtes a donc été réalisée.

Tableau 3. Moyenne (et écart-type) de la précision de reconnaissance des mots en L2 selon la session et la modalité

Modalité orale Modalité écrite
Session 1 78% (42) 81% (39)
Session 2 79% (37) 83% (37)

Le modèle final, présenté dans le tableau 4, a mis en évidence un effet de modalité, les scores de précision étant 3% plus faibles en Modalité orale (78%, écart-type = .41) qu’en Modalité écrite (81%, écart-type = .39). L'effet de la Compétence en L2 était également significatif : plus l’individu était compétent en L2, plus il était précis. En revanche, le facteur Session ne permettait pas d’améliorer le modèle. Ainsi, selon le modèle défini, la précision de réponse des participants dans la tâche de reconnaissance de mots dépend du stimulus concerné et des capacités du participant lui-même (effets aléatoires pris en compte dans le modèle), mais elle est aussi impactée par la compétence en L2 du participant et par la modalité de présentation du stimulus considéré.

Tableau 4. Modèle final

Prédicteurs (effets fixes) b SE b z p
(Intercept)
Compétence en L2
Modalité
2.12
.47
-.56
.23
.09
.21
9.12
5.53
-2.72
<.001*
<.001*
<.01*
 
Note : b = estimateur ou coefficient de l’équation, SE b = erreur standard associée à l’estimateur, z = résultat du test statistique, p = risque d’erreur évaluant la significativité. Les effets significatifs avec p < .05 sont marqués d’une .

Discussion

L'objectif de cette étude était de déterminer si des effets de modalité et de session peuvent être observés en L2 et s'ils interagissent avec un effet de la compétence. Nous nous attendions à mettre en évidence un effet de modalité, avec une reconnaissance plus précise des mots écrits que des mots parlés en L2. De plus, nous nous attendions à un effet de la compétence, en interaction avec l’effet de modalité. Enfin, nous avons étudié le bénéfice d'une modalité sur l'autre (donc le transfert de compétences d’une modalité à l’autre) à travers l’effet de session.

Comme attendu, nous avons observé un effet de modalité chez les participants, avec une reconnaissance plus précise des mots écrits que des mots parlés, quel que soit l'ordre de présentation des modalités. Cet effet de modalité en faveur de l’écrit peut être lié à trois paramètres, présentés ici successivement et indépendamment les uns des autres, mais qui peuvent aussi être complémentaires. Premièrement, cet effet peut être lié à des mécanismes d'activation différents selon la modalité considérée – lexical en modalité écrite, la globalité du mot étant disponible simultanément permettant donc une reconnaissance globale de la forme écrite via un processus très automatisé, et sous-lexical en modalité orale, en raison de la temporalité des mots parlés imposant une reconnaissance séquentielle de la forme orale. Deuxièmement, ceci suggère aussi que les connaissances lexicales des apprenants tardifs de l'anglais L2 en contexte scolaire sont étroitement liées à la modalité de présentation des mots. Les apprenants tardifs de l'anglais L2 reconnaissent ainsi plus facilement les formes écrites que les formes orales, ce qui est probablement au moins en partie lié au biais d’exposition en faveur de la modalité écrite dans ce contexte particulier d’apprentissage. Notons que l’exposition extra-scolaire à l’anglais pourrait moduler cet effet (via des morceaux chantés notamment) mais la part de l’écrit y est également importante. Enfin, cet effet de modalité est aussi à mettre en relation avec l’inconsistance de l’orthographe anglaise et avec l’incongruence des CGP françaises et anglaises, qui rendent difficiles la création de représentations phonologiques précises des mots anglais chez les apprenants tardifs de l’anglais L2, ce qui rend plus difficile la reconnaissance des mots parlés que des mots écrits.

Par ailleurs, cette étude était également exploratoire, afin d’étudier le bénéfice d’une modalité sur l’autre à travers l’effet de session, qui aurait reflété un transfert d'une modalité à l'autre en termes de précision. Or, nous n’avons pas pu mettre en évidence un tel effet. Ainsi, avoir entendu des mots anglais ne permet pas d’augmenter la précision de reconnaissance de ces mêmes mots à l’écrit. De même, avoir vu des mots anglais n’augmente pas la précision de reconnaissance des mêmes mots à l’oral. Il n’y a donc pas de transfert des compétences d’une modalité sur l’autre. Ces résultats – i.e., effet de modalité en faveur de l’écrit et absence d’effet de session – suggèrent que les apprenants de L2 utilisent leurs compétences en lecture pour créer des représentations orthographiques fortes en L2 à partir de l'entrée écrite. Ils ont donc de bonnes capacités de reconnaissance des mots anglais écrits. Mais, ces représentations orthographiques robustes sont associées à des représentations phonologiques imprécises, ce qui explique l’effet de modalité observé et est cohérent avec l'imprécision des représentations phonologiques déjà constatée chez les apprenants tardifs de L2 (Cook et al., 2016; Darcy et al., 2013). Elle est également congruente avec les résultats de Veivo et ses collègues (2015) qui avaient constaté chez des apprenants finlandais du français L3 effectuant une tâche de traduction que des représentations phonologiques imprécises étaient parfois associées à des représentations orthographiques précises. Les représentations phonologiques étant imprécises, elles ne permettent pas un transfert efficace vers la modalité écrite, ce qui explique l’absence d’amélioration des performances en modalité écrite dans le groupe O-E. De même, les représentations orthographiques étant associées à ces représentations phonologiques imprécises, la pré-activation de ces dernières au cours de la reconnaissance de mots écrits n’est pas assez importante pour permettre un transfert efficace de l’écrit vers l’oral, ce qui explique l’absence d’amélioration des performances en modalité orale dans le groupe E-O. C’est pourquoi nous n’avons pas pu observer d’effet de session.

Enfin, nous avons trouvé un effet de la compétence : la compétence la plus élevée en L2 était associée aux précisions les plus élevées. Par ailleurs, l’interaction entre la compétence en L2 et la modalité était non significative (donc non intégrée dans le modèle final), l’effet de modalité existant quelle que soit la compétence en L2. Ceci est différent des résultats obtenus par l’équipe de Veivo en 2015, qui trouvait une interaction entre la compétence en L3 et la modalité. Mais il convient de remarquer que l’impact de la L2 n’avait pas été étudié dans ce cas. Dans notre étude, il est possible que l’absence d’items dont les équivalents de traduction sont proches orthographiquement (dits mots cognates ; e.g., ‘guide’ en français et en anglais, ou ‘tomate’ en français pour ‘tomato’ en anglais) puisse expliquer cette absence d’interaction. En effet, le partage orthographique interlangue de ces mots cognates pourrait être utilisé comme un indice pour augmenter la précision de reconnaissance des mots écrits, particulièrement chez les peu compétents, qui seraient ainsi plus sensibles à ces mots « ressemblant à ceux de L1 » à l’écrit. Ce partage orthographique étant associé à moins de partage phonologique, les peu compétents se baseraient moins sur cet indice à l’oral. Ceci aurait donc un impact sur l’interaction entre compétence en L2 et modalité.

Dans l'ensemble, nos données suggèrent que les représentations orthographiques ne sont pas étroitement liées aux représentations phonologiques en anglais L2 chez les bilingues français-anglais de compétence intermédiaire8. La question se pose alors de l'existence d'une représentation lexicale dépendante ou non de la modalité en L2, ce débat n'ayant pas encore été totalement tranché en L1 (voir pour le français L1 : Sauval et al., 2018 ; voir pour l’anglais L1 : Balota et al., 1999 ; voir également pour l’absence d’effet de modalité en L1 : Wolf et al., 2021). Par ailleurs, différents paramètres ont été démontrés comme indispensables à prendre en considération lorsque l’on s’intéresse à la reconnaissance de mots en L1 en fonction de la modalité (voir pour l’importance de la familiarité et de la fréquence lexicale en L1 : Connine et al., 1990 ; voir aussi pour l’effet de la fréquence lexicale et de l’âge d’acquisition des mots sur la vitesse de leur reconnaissance : Turner et al., 1998).

En effet, en L2, notamment chez les bilingues de compétence intermédiaire, l'accès à la représentation lexicale des mots nouveaux ne semble pas être efficace sans tenir compte de la modalité, ce qui se traduit par un effet de modalité en faveur de l'écrit. De plus, en raison des aspects pratiques de l'apprentissage de la L2 à l'école, il semble y avoir un biais d'exposition en faveur de la modalité écrite. Ainsi, les représentations orthographiques semblent être plus facilement et spécifiquement activées que les représentations phonologiques.

Cependant, notre étude comporte certaines limites. Premièrement, comme les différentes paires de langues sont caractérisées par des niveaux d'inconsistance et d'incongruence différents (cf. présentation de l’étude page 9), nous pouvions nous attendre à ce que ces résultats soient modulés par la paire de langues considérée. Deuxièmement, notre design expérimental n'a pas permis l’analyse de l'effet de la modalité sur les temps de réaction. Or, les temps de réaction constituent un indicateur intéressant dans la mesure où l’efficacité d’une procédure ne se mesure pas seulement à sa précision mais aussi à la vitesse de traitement (reconnaître un mot plus rapidement permet de ne pas altérer la suite du traitement). Cette étude demande donc à être précisée par une analyse des temps de réaction. En effet, celle-ci pourrait mettre en évidence un effet de session, n’apparaissant que sur ces temps de réaction, mais ne permettant pas une amélioration de la précision. À cette fin, des expériences spécifiques devraient être conçues car une comparaison directe entre les modalités n'est pas possible, en raison des différences de temps de traitement entre les deux modalités.

En conclusion, en raison de l'impact de la modalité sur les capacités de reconnaissance des mots, nos résultats plaident en faveur de représentations lexicales dépendantes de la modalité en anglais L2 chez les bilingues tardifs français-anglais. De tels résultats ouvrent de nouvelles perspectives de recherche sur la manière dont les mots appris à l’écrit sont reconnus à l'oral. Les recherches futures devraient prendre en compte différents paramètres : la modalité, bien sûr, mais aussi le statut des mots (i.e., mots cognates ou non – degré de chevauchement orthographique entre les équivalents de traduction des deux langues). Par ailleurs, on peut se demander si cet effet de modalité a un impact sur des populations spécifiques présentant des difficultés dans le traitement de l’écrit, comme les lecteurs dyslexiques. De même, la question se pose de l'impact de la compétence en L2 sur la reconnaissance des mots dans les deux modalités, nos résultats étant divergents de ceux d’autres études. Des recherches sont nécessaires sur les bilingues peu compétents, tels que les apprenants débutants de l'anglais L2.

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Notes

1 En psychologie ou neurosciences, les modalités se réfèrent aux différents modes d'accès à l'information dans le cadre de la perception. Dans ce contexte, modalités est donc proche de sens. Dans le cadre précis de cette étude, le terme « modalité » correspond au fait que les mots soient présentés à l’écrit ou à l’oral. Retour au texte

2 Le terme « bilingue » ne signifie pas que l’individu maîtrise la L2 autant que sa langue maternelle, mais simplement ici qu’il a des connaissances sur cette L2 (quel que soit son niveau d’expertise). On parle ici de bilingue tardif car l’apprentissage de la L2 a lieu alors que l’acquisition de la L1 est déjà finalisée ou presque. Retour au texte

3 Phonème = unité minimale de son, Graphème = lettre ou groupe de lettres correspondant au phonème. Retour au texte

4 Pseudomot = suite de lettres prononçables mais sans signification. Retour au texte

5 Consistance orthographique = systématicité des CGP (un graphème se prononce toujours de la même façon et un phonème s’écrit toujours de la même manière). Retour au texte

6 L’apprentissage scolaire de la L2 entraîne en effet rarement un bilinguisme équilibré, avec des compétences égales en L1 et en L2. La compétence en L2 sera néanmoins évaluée dans notre étude. Retour au texte

7 En effet, les tâches de décision lexicale demandent une réponse du participant pour chaque stimulus, afin de la catégoriser en mot ou pseudomot. Mais, nous cherchons ici à analyser l’impact de la modalité sur la reconnaissance des mots. Ce sont donc uniquement les essais de mots qui nous intéressent. Retour au texte

8 Voir le tableau 2 qui présente notamment les résultats du test d’évaluation des compétences en anglais. Retour au texte

Illustrations

  • Figure 1. Modèle de la double voie (adapté de Coltheart et al., 2001).

    Figure 1. Modèle de la double voie (adapté de Coltheart et al., 2001).

  • Figure 2. Le modèle BIA-d (d’après Grainger et al., 2010)

    Figure 2. Le modèle BIA-d (d’après Grainger et al., 2010)

    L1 et L2 : représentations orthographiques du mot, respectivement en L1 et en L2
    S : signification, concept associé, représentation sémantique partagée
    Flèches : connexions excitatrices / Cercles : connexions inhibitrices
    Traits pleins : connexions plus robustes que les pointillés

Citer cet article

Référence électronique

Camille Cornut, Gwendoline Mahe et Séverine Casalis, « Reconnaissance de mots en L2 chez les bilingues tardifs français-anglais : transfert d’une modalité sur l’autre », Mosaïque [En ligne], 16 | 2021, mis en ligne le 19 janvier 2022, consulté le 14 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/mosaique/268

Auteurs

Camille Cornut

Camille Cornut, docteure en Psycholinguistique, travaille sur l’impact de la modalité de présentation des mots en langue seconde sur leur reconnaissance, chez les étudiants et collégiens français, dyslexiques et lecteurs experts.
Univ. Lille, CNRS, UMR 9193 – SCALab – Sciences Cognitives et Sciences Affectives, F-59000 Lille, France.

Gwendoline Mahe

Gwendoline Mahe, maîtresse de conférences en Psychologie, développe des travaux sur la dyslexie développementale, la reconnaissance visuelle des mots, l’apprentissage de la lecture, les prédicteurs de la lecture et l’impact de facteurs non langagiers sur le niveau de lecture.
Univ. Lille, CNRS, UMR 9193 – SCALab – Sciences Cognitives et Sciences Affectives, F-59000 Lille, France.

Séverine Casalis

Séverine Casalis, professeure des universités en Psychologie cognitive et Psycholinguistique, a pour axes de recherche la lecture, son apprentissage, la dyslexie, le bilinguisme et les troubles du langage. Elle est coresponsable de l’équipe Langage du Laboratoire SCALab et Vice-présidente à la valorisation et l’innovation de l’Université de Lille.
Univ. Lille, CNRS, UMR 9193 – SCALab – Sciences Cognitives et Sciences Affectives, F-59000 Lille, France.

Droits d'auteur

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