Des instruments pour la République

Formation, conservation et usages des collections nationales de physique durant la Révolution française.

DOI : 10.54563/mosaique.385

Résumés

Cet article entend restituer les itinéraires des instruments de physique saisis aux ennemis de la République à partir de l’été 1793. En suivant ces objets, de leur inventaire à leur redistribution en 1795, il est possible de comprendre leur rôle dans le projet républicain. Les instruments sont d’abord inventoriés avant d’être mis en dépôt, car ils sont considérés comme indispensables à la mise en place d’un enseignement scientifique encyclopédique et expérimental que la dégradation de la conjoncture militaire ne permet pas de réaliser. La maison d’Aiguillon, un hôtel particulier transformé en dépôt national de physique, devient alors une enclave instrumentale qui participe à la fonctionnarisation des métiers de la conservation du patrimoine scientifique. Enfin, la République thermidorienne opère une redistribution des instruments qui profite avant tout à l’École Polytechnique, l’établissement le plus prestigieux, et qui peut dès lors mettre en place un enseignement encyclopédique.

This article intends to reconstruct the itineraries of the physical instruments seized from the enemies of the Republic from the summer of 1793. By following these objects, from their inventory to their redistribution in 1795, it is possible to understand their role in the republican project. The instruments were first inventoried before being placed in storage because they were considered indispensable to the establishment of an encyclopedic and experimental scientific teaching that the deterioration of the military situation did not allow to be realized. The Maison d'Aiguillon, a private residence transformed into a national warehouse of physics, became an instrumental enclave that participated in the functionalization of the professions of conservation of scientific patrimony. Finally, the Thermidorian Republic redistributed the instruments to the benefit of the École Polytechnique, the most prestigious institution, which was then able to set up an encyclopedic teaching program.

Index

Mots-clés

Instruments scientifiques, physique, Révolution française, collection, dépôt, École Polytechnique

Keywords

Scientific instruments, physics, French Revolution, collection, depot, Polytechnic School

Plan

Texte

La Révolution française constitue un moment d’intense circulation des objets d’art et de sciences durant lequel ils sont mis au service de la République en participant à son projet de gouvernement des hommes et de la nature (Chappey et Vincent, 2019). Dans le cadre de cet article, nous souhaitons étudier les rapports entretenus par l’État révolutionnaire et ses collections nationales de physique qui n’ont, jusqu’ici, pas fait l’objet d’une étude, à l’inverse des œuvres d’art, des livres, des spécimens d’histoire naturelle et des archives (Savoy, 2033 ; Robin, 2013 ; Lacour, 2014 ; Donato, 2020). Les instruments de physique peuvent être définis comme l’ensemble des dispositifs matériels permettant de mesurer et de quantifier des phénomènes physiques afin de produire ou de transmettre des savoirs dans les domaines des sciences physiques – physique et chimie.

L’ampleur des flux instrumentaux générée par la Révolution ne pouvant être restituée ici, nous nous restreindrons au cas parisien, car la capitale concentre dès l’Ancien Régime la très grande majorité des instruments présents dans le royaume et le processus révolutionnaire ne fait que renforcer cette dynamique, car de nombreuses collections y convergent depuis les départements et les territoires annexés. De plus, nous nous bornerons à l’étude des instruments nationalisés à partir de 1793 : les ennemis de la République – émigrés et condamnés – ont été les principaux propriétaires de cabinets de physique, la confiscation de leurs biens fait donc entrer de nombreux instruments dans le domaine public. Ces appareils ont principalement été envoyés dans les nouvelles structures d’enseignement à partir de 1795. Suivre ces objets de savoir durant ces deux années, de leur nationalisation à leur redistribution, permet de comprendre quel a été leur rôle dans l’entreprise de régénération des populations, la diffusion des sciences étant considérée par les autorités républicaines comme l’un des moyens privilégiés pour faire advenir une société de citoyens.

Inventorier les collections nationales de physique

Temporalités et organisations des saisies

La constitution des collections nationales de physique par les autorités publiques est un processus progressif. Lorsque la première institution en charge de l’inventaire et de la conservation du patrimoine national, la Commission des Monuments, est créée le 8 novembre 1790, les objets de sciences en général et les instruments de physique en particulier, sont marginalisés. La Commission des Monuments se voit attribuer un double objectif : « la recherche et la conservation […] du mobilier des maisons ecclésiastiques »1. Or, les collections qui y sont inventoriées sont quasi-exclusivement constituées de livres et d’œuvres d’art. Par conséquent, durant les trois années de son existence, la Commission des Monuments n’expertise pas de collections de physique, d’ailleurs seul un commissaire sur les treize puis sur les trente-trois à partir d’octobre 1792, le physicien Haüy, semble avoir les compétences nécessaires pour les estimer. La chute de la monarchie en 1792 n’entraîne pas de changement majeur, car si les collections royales de physique sont nombreuses, elles demeurent à Versailles.

La rupture décisive intervient à l’été 1793 sous l’effet d’un double processus. D’une part, le 8 août, l’Académie des sciences est supprimée et ses nombreuses collections doivent dès lors faire l’objet d’un inventaire. D’autre part, la mise en place d’un gouvernement révolutionnaire se traduit par une intensification des saisies à l’encontre des ennemis de la République. Le nombre des collections scientifiques tombant dans le domaine public ne cesse dès lors de croître, ce qui pousse le Comité de salut public à créer une nouvelle institution pour seconder la Commission des Monuments et la Commission temporaire des arts. Son organisation est encyclopédique2 avec un intérêt largement accru pour les savoirs scientifiques puisque huit de ses treize sections leur sont dédiées avec notamment des sections B, C, E respectivement dévolues à la physique, à la chimie et à la mécanique.

La coexistence de deux institutions chargées d’inventorier le patrimoine national entraîne des tensions qui poussent les Comités de salut public et d’Instruction publique à ne garder que la Commission temporaire, la Commission des Monuments étant dissoute le 18 décembre 1793. Dès lors, la première obtient le monopole de « l’exécution de tous les décrets concernant la conservation des monuments, des objets de sciences et d’art, leur transport & leur réunion dans des dépôts convenables »3. De plus, les collections nationales sont expressément conservées dans le but de participer à l’instruction publique. La Commission temporaire est fortement dotée, car elle reçoit de la Convention nationale un fond annuel de 100 000 livres « pour la conservation et le rassemblement des tableaux, statues, livres, collections d’histoire naturelle, machines ou tout autre objet utiles aux sciences et aux arts, renfermés dans les églises, maisons nationales et dans celles des émigrés »4.

Quatre artistes et un démonstrateur pour inventorier le patrimoine physique

La Commission temporaire, pour réussir sa mission, s’appuie sur un nombre important de commissaires : trente-six puis soixante-quinze à partir de février 1794. Quatre membres de la section de physique ont la charge d’inventorier les instruments saisis et leurs profils sont intéressants, car il s’agit de trois artistes5 – les fabricants d’instruments Étienne Lenoir et Nicolas Fortin, et l’horloger Antide Janvier – et d’un savant – le physicien et démonstrateur Jacques Charles6. Cette section est donc l’un des nombreux exemples de mobilisation de savants et de techniciens par le gouvernement révolutionnaire (Bret, 2002). Le choix de recruter une majorité d’artistes est d’ailleurs directement corrélé au fait que la communauté savante est déjà largement mobilisée sur d’autres projets. Initialement, la Commission temporaire « a porté ses regards sur les savants et artistes qu’elle a jugé les propres à remplir ses vuës. Mais plusieurs de ses membres déjà engagés dans d’autres travaux […] n’ont pû remplir la tache ». Par conséquent la section de physique ne recrute pas « de ces noms célèbres et déjà consacrés de leur vivant à l’immortalité »7 mais bien des praticiens, choisis d’abord pour leur capacité d’expertise technique.

Ainsi, deux fabricants d’instruments sont recrutés : Étienne Lenoir (1744-1832) et Nicolas Fortin (1750-1831). Ces artistes ne sont pas inconnus, bien au contraire puisqu’il s’agit des deux constructeurs les plus réputés de France (Daumas, 1953). Étienne Lenoir est le fabricant français à la réputation la plus solide, spécialisé dans les instruments d’astronomie, il fournit notamment les grandes expéditions savantes de la fin du siècle : celles de La Pérouse et de d’Entrecasteaux, plus tard celle de Baudin (Turner, 1989). Nicolas Fortin est d’abord reconnu pour ses pompes pneumatiques, mais c’est par sa collaboration avec Lavoisier qu’il acquiert véritablement son crédit technique en se spécialisant dans la fabrique de balances de précision. Un troisième artiste fait partie de la section : l’horloger Antide Janvier (1751-1835) dont les réalisations lui ont permis d’être nommé Horloger Mécanicien de Monsieur puis Horloger du Roi (Dequidt, 2014). Ces artistes sont accompagnés par Jacques Charles (1746-1825), démonstrateur de physique expérimentale le plus réputé et propriétaire du plus beau cabinet de Paris (Belhoste, 2011).

À partir du printemps 1794, ces trois commissaires sont rejoints par le fabricant Pierre-François Dumotiez qui est nommé estimateur par le département de Paris afin de fixer une valeur financière pour chaque instrument en fonction de sa précision, de son exécution ainsi que de son état de conservation8.

Le recrutement des commissaires s’opère donc sur des critères techniques : le choix des autorités se porte sur des praticiens sachant manipuler et en estimer la précision et la fiabilité. Il est possible de lire ces nominations comme une étape supplémentaire de l’intégration des praticiens au sein de la communauté savante sous l’impulsion des autorités publiques. À la vieille de la Révolution, les artistes et notamment les fabricants d’instruments sont maintenus dans une position institutionnelle marginale alors même que les savoirs scientifiques sont produits grâce à un appareillage instrumental depuis au moins le XVIIe siècle. Aucun fabricant n’intègre l’Académie des sciences tandis que la plupart doivent subir les attaques des corporations qui leur reprochent d’utiliser des techniques sans avoir été reçus dans le corps de métier auquel les techniques en question sont rattachées. Après la création d’un corps d’ingénieur en instruments en 1787, il convient de considérer que l’intégration de ces artistes au sein de la Commission temporaire est une étape supplémentaire dans le rapprochement entre l’État et ses fabricants d’instruments.

Une approche socio-spatiale des politiques de conservation des collections de physique

Les instruments qui intègrent les collections nationales sont destinés à être montrés et manipulés afin de servir à l’instruction publique ainsi que pour encourager l’innovation. Cependant, la dégradation de la conjoncture militaire aux frontières et la montée des troubles internes obligent les autorités à repousser la réalisation de ce projet. La Convention nationale fait dès lors le choix d’établir douze dépôts nationaux à Paris ; parmi eux, un dépôt national de physique est créé le 26 juin 1794 au 296 rue de l’Université dans la maison du duc d’Aiguillon, émigré depuis 1792.

Une enclave instrumentale au cœur de Paris

Les autorités publiques font très tôt le choix de regrouper les collections nationalisées dans des dépôts entièrement dédiés à leur conservation tout en limitant les frais de gardiennage. Ainsi, dès 1790, les collections artistiques des maisons religieuses sont envoyées dans le dépôt des Petits Augustins. Les collections particulières sont en revanche, dans un premier temps, laissées dans les demeures et mises sous scellés. Cependant, face à l’augmentation exponentielle des saisies révolutionnaires à partir de l’été 1793, il est décidé le 28 septembre que les objets d’art et de sciences doivent être envoyés dans le dépôt de Nesle. Celui-ci est néanmoins rapidement menacé de saturation à tel point que les autorités font le choix d’ouvrir à Paris douze dépôts nationaux selon une logique encyclopédique de conservation des collections nationales, dont un est dévolu aux sciences physiques9.

L’installation du dépôt dans la maison d’Aiguillon ne se fait pas au hasard. Cet hôtel particulier est d’abord choisi pour son accessibilité, car il donne sur la rue de l’Université, un axe structurant de la rive gauche. Ensuite, il se situe dans l’Ouest parisien qui concentre les demeures aristocratiques dont les propriétaires sont les principaux collectionneurs d’instruments ; à proximité du dépôt se trouve par exemple la demeure de Bochart de Saron, ancien premier président du Parlement, membre honoraire de l’Académie et propriétaire d’un important cabinet de physique. Cette proximité est recherchée par les autorités, car elle permet de minimiser les frais de déménagement et surtout les temps de trajets en raison de la fragilité de la plupart des instruments. De plus, la maison d’Aiguillon possède une cour et une basse-cour intérieures qui permettent un déchargement plus aisé. Enfin, le fait de placer le dépôt dans un hôtel particulier n’est pas neutre, car ce bâtiment est prestigieux et constitue une « véritable vitrine pour le statut de celui qui l’occupe » (Robin, 2017 : 172). Cette installation a donc pour but de signifier l’importance accordée à la conservation des collections de physique par la République.

Le dépôt national de physique est un espace public au sens où il est installé dans un bâtiment national qui abrite des collections nationales, qui dépend du Comité d’Instruction publique et dans lequel travaillent des fonctionnaires ; à l’inverse, il n’est pas public au sens d’une libre accessibilité. La reconversion du lieu doit être publicisée, c’est-à-dire rendue visible par tous afin d’acter ce réemploi tout en dissuadant les potentielles intrusions. En cela, l’inscription Dépôt national de physique apposée sur le fronton de l’entrée principale est essentielle, car elle sanctionne ce changement de statut : la maison d’Aiguillon cesse d’être un lieu de vie aristocratique pour devenir un espace de conservation et de travail. En somme, ce bâtiment, bien qu’inscrit au cœur de la trame urbaine parisienne, se met à fonctionner selon d’autres règles, d’autres rythmes et d’autres temporalités. À ce titre, il peut être considéré comme une enclave, au sens d’un espace situé à « une distance infinie des autres territoires » (Lévy, 2003 : 309-310).

En parallèle, les autorités jugent nécessaire de restaurer l’isolation du bâtiment qui n’a plus été occupé depuis l’émigration de son ancien propriétaire en 1792. Dès que le choix de la maison d’Aiguillon est arrêté, la Commission temporaire presse l’Agence des revenus nationaux de « procéder sans délai à la réparation de la couverture de la dite maison »10. La toiture, qui fait l’objet de nouveaux travaux en mai 1795, cristallise l’attention des autorités, car il s’agit tout à la fois de prévenir les intrusions et l’humidité. Cet impératif d’isolation est entravé avec l’explosion de la poudrerie de Grenelle le 31 août 1794 dont le souffle fait voler en éclats les fenêtres du dépôt. Aussi la vitrière Dov est-elle dépêchée sur place afin de réparer ces dégradations. Ainsi, ce sont les zones de contact entre l’extérieur et l’intérieur du dépôt qui focalisent l’attention et concentrent les opérations de rénovation.

Des instruments qui participent à la construction de l’espace

Les instruments déposés dans le dépôt participent à la construction de l’espace, car ils nécessitent des conditions de conservation particulières qui dictent l’agencement du lieu. La Commission temporaire dispose, pour leur conservation, d’un vaste local qui s’étend sur deux ailes et sur deux étages, eux-mêmes fragmentés en différentes pièces. Cette profusion de salles est appréciée, car elle permet d’anticiper sereinement l’arrivée de nouvelles collections. De plus, elle dispense d’installer des cloisons artificielles comme cela a été le cas pour les dépôts littéraires installés dans d’anciens couvents. Cependant, la présence de ces deux étages introduit des inconvénients logistiques, car les instruments doivent emprunter des escaliers et des corridors qui sont autant de moments délicats à négocier pour les ouvriers. À ces difficultés, il faut également ajouter l’installation préalable des meubles de rangement – tables, tréteaux et autres tablettes – dans lesquels sont conservés les appareils.

L’entretien des instruments exige la création d’un atelier de réparation. Sa localisation demeure inconnue mais les demandes de matériaux – principalement de l’huile à brûler et du bois – impliquent la présence d’une ou plusieurs sources de chaleur, il est donc fort possible que les cuisines et leurs fourneaux aient été transformés en atelier. Ainsi, le dépôt est structuré par au moins deux pôles : l’un, le principal, étant dédié à la conservation, tandis que l’autre serait dévolu à la réparation des instruments.

En somme, les instruments sont bien des opérateurs spatiaux (Lussault, 2007) au sens où leur présence implique une recomposition de l’espace de la maison d’Aiguillon et qu’ils génèrent de nouveaux flux de matière qui convergent vers le dépôt. Les instruments sont des agrégations complexes de nombreux matériaux – argent, bois, cristal, cuivre, fer, ivoire, or, verre – qui rendent les collections de physique si difficiles à conserver. La principale menace demeure l’humidité qui altère autant le bois que les métaux. L’humidité est d’abord combattue aux zones de contact entre l’extérieur et l’intérieur du dépôt comme la toiture et les fenêtres ; il s’agit donc ici, comme vu précédemment, de restaurer l’étanchéité du lieu. Au sein du local, d’autres dispositifs sont déployés pour la combattre. Le bâtiment est chauffé en de multiples endroits pour assécher l’air et maintenir une température adaptée à la conservation. De plus, certains instruments sont placés dans des meubles de rangement ou dans des caisses tandis que d’autres sont emballés dans de la toile. Il n’en reste pas moins que ces mesures accusent certaines limites, car « la plupart des instruments et outils étaient couverts de rouille lorsqu’on les a retirés des dessous des scellés du bureau du domaine national ; ceux des départements et pays conquis ont été mouillés et se trouvaient [aient] ? rouillés dans les caisses »11. L’altération des instruments nationaux est donc une réalité et le personnel ne réussit finalement qu’à limiter la diffusion de celle-ci en prenant l’initiative de « couvrir d’huile toutes les parties couvertes par la rouille », mais la mesure est reconnue comme étant largement insuffisante puisque « cette précaution n’a qu’un effet momentané, elle empêche la rouille de faire des progrès ; dans peu de temps les huiles se dessèchent, la poussière s’y attache, les pièces qui en sont couvertes deviennent plus sales et le nettoyage plus difficile et dispendieux »12.

Un laboratoire de la fonctionnarisation des métiers de la conservation du patrimoine scientifique

La maison d’Aiguillon est un espace vaste qui se déploie sur deux étages, une cour et des jardins. Or le personnel est réduit, car l’équipe se compose seulement de trois membres : un conservateur, un gardien et un portier. Pour s’assurer du contrôle des flux entrants et sortants, la Commission temporaire édicte des règlements qui déterminent, pour chacun d’entre eux, les tâches à réaliser.

Tout d’abord, le portier a le contrôle de l’entrée du dépôt : il reçoit chaque individu qui s’y présente et vérifie le fondement de sa venue. Il réalise également des tâches d’entretien puisqu’il doit « maintenir la propreté du devant de la porte, des cours, des passages, des corridors et des escaliers »13. Le portier est donc une personne mobile qui doit régulièrement se déplacer au sein des différents espaces du dépôt. Sur ce point, on note une continuité entre l’Ancien Régime et la Révolution, car le portier Reinerf est maintenu en poste après l’exil du duc d’Aiguillon. Ensuite, le gardien Monneret – dont seul le nom nous est parvenu – doit « s’occuper du maintien de la propreté extérieure du dépôt, et de fermer à clé toutes les entrées »14, et il a sous sa surveillance les nombreuses salles. C’est d’ailleurs lui qui accompagne les visiteurs ponctuels qui ont reçu l’autorisation de s’y rendre. Enfin, le conservateur exerce les fonctions de « police intérieure », c’est-à-dire d’administration. Ses tâches principales sont d’orchestrer les entrées et les sorties et d’organiser les espaces de rangement. Le conservateur Claude-Pierre Molard est choisi pour ses compétences techniques : ancien protégé du mécanicien Vandermonde, il est d’abord dessinateur et démonstrateur au Cabinet royal des machines à partir de 1786, avant de rejoindre la section de mécanique de la Commission temporaire en 1793. C’est donc de ces trois hommes que dépend la conservation de centaines d’instruments. Le Comité d’instruction publique mise sur leur complémentarité et la confiance, car c’est au conservateur Molard que revient le droit de former son équipe dont les membres sont ensuite validés par la Commission temporaire.

Si le gardien, le portier et le conservateur travaillent de concert, il existe néanmoins une chaîne de commandement hiérarchique. Le conservateur Molard, qui fait partie de la Commission temporaire et de la Commission d’agriculture et des arts, a la confiance du Comité d’Instruction publique, car il a déjà fourni des preuves de ses compétences techniques et de son attachement à la République, l’entrée dans ces commissions étant conditionnée à la présentation d’un certificat de civisme. En revanche, le portier et le gardien bénéficient seulement de la recommandation du conservateur. Aussi doivent-ils fournir « les preuves les plus évidentes de leur patriotisme [par] le cautionnement de deux patriotes »15. Surtout, ils sont soumis à la pleine autorité de Molard et doivent se plier à de stricts impératifs. Les contraintes sont d’abord spatiales, avec l’obligation de résider sur place afin de dissuader toute intrusion et d’intervenir au plus vite en cas d’incidents. Le portier, qui se situe au bas de l’échelle des responsabilités, est soumis à de sévères restrictions de mouvement, car « tout portier qui se sera absenté sans en prévenir le conservateur ou le gardien sera dans le cas d’être renvoyé »16. Le gardien est plus libre dans ses mouvements mais ceux-ci restent limités notamment d’un point de vue temporel, car « il ne découchera point sans une permission du conservateur et sera toujours rentré dans les heures convenables »17. C’est en creux la crainte de la nuit qui se dessine, celle-ci étant vue comme un moment propice aux vols. Le conservateur n’échappe pas aux dispositifs de surveillance puisque chacune de ses actions est scrutée par la Commission temporaire qui veille à ce que ses directives ainsi que celles des Comités d’Instruction publique et de Salut Public soient appliquées. Celui-ci ne peut donc gérer les flux d’instruments comme il l’entend et demeure un exécutant, les collections étant considérées comme précieuses pour l’instruction publique. En somme, les règlements mettent en place un contrôle mutuel mais asymétrique, qui se fait plus contraignant à mesure que l’on descend dans la hiérarchie.

Essai sur la matérialité de l’enseignement de physique à l’École Polytechnique

Les dépôts sont pensés comme des lieux temporaires de conservation destinés à protéger les instruments avant leur redistribution, celle-ci devant permettre de bâtir le nouveau système d’enseignement républicain. Si certains instruments sortent sous le gouvernement révolutionnaire, c’est avec l’avènement de la République thermidorienne à partir de l’été 1794 et plus encore à partir de 1795, que la majorité de ces appareils quittent les dépôts pour garnir les cabinets des nouvelles écoles. Il s’agira ici d’étudier les premiers temps de l’École centrale des travaux publics – qui prend en 1795, le nom d’École polytechnique – afin de rendre compte de la place des instruments et de l’enseignement des sciences physiques au sein de l’établissement le plus prestigieux de la République. Le choix de se focaliser sur ce lieu est motivé par le fait que la très grande majorité des instruments des dépôts y sont envoyés. Toutefois, il sera nécessaire de questionner les limites de cette redistribution, car les instruments sont également restitués aux familles de condamnés afin de contribuer à la restauration de la concorde nationale.

L’École centrale des travaux publics. Un espace recomposé pour conserver et manipuler les instruments

Lorsque la situation militaire est moins critique, la République thermidorienne, qui succède au gouvernement révolutionnaire en juillet 1794, peut bâtir un système d’instruction publique en s’appuyant sur les collections présentes dans les dépôts qui sont envoyées dans les établissements du secondaire et du supérieur. L’enseignement républicain est pensé comme devant être encyclopédique, ce qui permet aux sciences physiques d’acquérir le statut de discipline autonome au sein des cursus, en ce sens qu’elles ne sont plus enseignées dans une perspective métaphysique durant les leçons de philosophie comme cela a été le cas dans les collèges d’Ancien Régime. La physique et la chimie sont désormais enseignées en tant que sciences expérimentales qui doivent permettre l’étude des « propriétés des corps de la nature » grâce à la réalisation d’expériences. Dès lors la démonstration constitue la partie centrale de la leçon : le professeur énonçant la propriété, qui est ensuite corroborée par l’expérience, qui la rend « sensible, donc accessible aux sens, et par là, compréhensible » (Balpe, 1999 : 271). La pédagogie déployée à l’École centrale des travaux publics repose donc sur des méthodes expérimentales et intègre des leçons de sciences physiques jugées « indispensables à tous les genres d’ingénieurs, pour qu’ils puissent connaître exactement les propriétés des divers matériaux qu’ils emploient, et profiter de toutes les ressources que la nature leur offre »18.

L’École centrale des travaux publics entend proposer un enseignement encyclopédique et expérimental. La légitimité de l’établissement passe donc par la fourniture rapide et complète en instruments. Avant même sa création officielle qui intervient le 28 septembre 1794, l’École centrale des travaux publics est dotée au printemps du cabinet de physique et du laboratoire de l’ancienne École du génie de Mézières qui sont toutefois jugés insuffisants. En août 1794, Barruel, Carny et Le Sage sont alors respectivement chargés de former les collections de physique, de chimie et de mécanique en puisant dans les dépôts. Barruel n’éprouve pas de difficulté à constituer la collection de physique, l’opération est certes longue, elle ne s’achève que le 11 novembre, mais elle permet de constituer un cabinet riche dans toutes les branches de la physique. Le dépôt de la rue de l’Université est le principal fournisseur mais le dépôt du Louvre est également mobilisé ; les collections aristocratiques, en étant acheminées vers une école publique, parachèvent leur processus de républicanisation. Pour prendre la mesure de l’importance des dépôts dans la constitution des collections de physique, il est nécessaire de s’intéresser aux difficultés éprouvées par les deux autres commissaires en charge des collections de mathématiques et de chimie, car les ustensiles de chimie et les instruments de mathématiques nationalisés ont été réquisitionnés par l’Administration centrale des armes, ce qui oblige les autorités à passer commande pour approvisionner l’École19. Leur fabrication est une opération qui demande du temps, à ce titre elle est l‘une des causes du report de l’ouverture de l’établissement du 30 novembre au 23 décembre.

Les instruments envoyés à l’École centrale des travaux publics sortent des dépôts après de longs mois d’inactivité. Leur prise en charge n’a pas empêché leur dégradation au point que l’un des deux frères Dumotiez, ingénieurs reconnus en instruments, soit chargé de « la réparation de toutes les machines du cabinet de physique »20. De plus, trois artistes sont recrutés et ont respectivement la charge des « instruments en verre […] des machines et modèles en bois [et] des machines et modèles en métaux »21. Ces mesures semblent avoir porté leurs fruits, car aucun instrument supplémentaire n’est acheté durant les premières années d’existence de l’École.

L’arrivée d’instruments au Palais Bourbon, transformé en école, nécessite son réagencement, et la nouvelle répartition de l’espace est encyclopédique, car chaque discipline est cantonnée à une partie du local : la physique et la chimie, qui sont dissociées dans le cursus, le sont également au sein de l’École. En ce qui concerne la physique, les instruments sont répartis entre quatre cabinets aux statuts définis : l’un servira particulièrement d’atelier », tandis que deux autres « seront destinés tant à l’instituteur qu’à son laboratoire »22, le dernier étant dédié à la sauvegarde des collections. La polysémie du terme de cabinet est ici à souligner, car il peut désigner tout à la fois un espace de conservation, de réparation et de recherche. Ces quatre espaces ont tous une source de chaleur qui s’avère indispensable à la fois pour la tenue de certaines expériences et pour les opérations de réparation. Enfin, des outils sont achetés pour intervenir sur les instruments : « une forte pince à tirer, deux marteaux, une pince à goupille, un fer à souder et un emporte-pièce »23. Ces acquisitions révèlent que le remplacement des instruments n’est envisagé qu’en dernier recourt, car le prix d’un seul appareil peut monter à plusieurs centaines de francs.

Le cabinet de physique de l’École Polytechnique comme témoin d’une pédagogie expérimentale et encyclopédique

La première année d’existence de l’École centrale des travaux publics est marquée par de nombreuses difficultés qui ne permettent pas un fonctionnement normal de l’institution. Aussi les premiers mois sont-ils dédiés à des cours révolutionnaires et ce n’est qu’à la rentrée de 1795 que le cursus est définitivement fixé. Entre-temps, l’établissement a changé de nom pour devenir l’École Polytechnique, formulation qui insiste sur le caractère encyclopédique de la formation des futurs ingénieurs. Hassenfratz s’est vu confier le cours de physique générale et dispose pour cela du cabinet le plus complet de la République. Pour apprécier la richesse de cette collection, il est nécessaire de croiser son inventaire avec le programme d’enseignement de 1795. De cette manière, nous pourrons montrer qu’il s’agit d’un cabinet encyclopédique qui permet au professeur de donner un cours de physique générale qui « a pour objet la recherche des propriétés de tous les corps de la nature » et un cours de physique particulière – entendue au sens de chimie. Les dix-huit leçons annuelles d’Hassenfratz répondent à un double objectif : « la recherche des propriétés générales dont jouissent tous les corps [et] la recherche des propriétés des corps qui exercent une action sur tous les autres », ce qui implique d’aborder de nombreux phénomènes en manipulant une grande variété d’instruments. Pour ce faire, il dispose d’un cabinet dont l’inventaire se compose de 239 entrées réparties en huit sections : mécanique, hydrostatique et hydraulique, pneumatique, pyrologie et gazologie, électricité, aimant, optique, géographie et astronomie24.

La première section, celle de mécanique, comporte quarante-huit entrées et permet à Hassenfratz de débuter ses leçons par l’étude du « très petit nombre [de propriétés] qui conviennent à tous les corps & qui les affectent tous de la même manière », celles-ci sont au nombre de huit : l’étendue, l’impénétrabilité, la mobilité, l’inertie, la gravité, la porosité, l’élasticité et les affinités. Pour les rendre visibles aux étudiants, il manipule des instruments qui permettent d’étudier les corps immobiles et en mouvement ainsi que les forces qui s’exercent entre eux comme la machine des forces centrales, les plans inclinés ou les tribomètres qui permettent de mesurer les frottements entre deux surfaces. Durant ses leçons, Hassenfratz peut mobiliser des exemples appliqués à la vie professionnelle des ingénieurs grâce aux grue, cabestan, treuils, leviers et autres poulies.

La deuxième section, celle d’hydrostatique et d’hydraulique, permet de faire la leçon sur la liquidité. Les propriétés des fluides sont étudiées par deux disciplines : d’une part, l’hydrostatique qui est l’étude des fluides à l’équilibre ; d’autre part, l’hydrodynamique qui consiste notamment en la démonstration de la résistance des fluides. Cette section comporte trente-quatre entrées dont les principales pièces sont les neuf pompes et les vases servant respectivement à la démonstration de la force centrifuge, de l’équilibre des liquides et de la pression de bas en haut.

Les propriétés des gaz peuvent être étudiées grâce aux instruments présents dans la troisième section et répartis en trente-six entrées, celle de pneumatique. Les leçons se concentrent surtout sur la compressibilité et l’élasticité des gaz, ce qui peut être fait grâce aux quatre machines pneumatiques et de compression, dont deux ont été fabriquées par les Dumotiez qui sont connus pour être les meilleurs fabricants d’instruments pneumatiques de Paris.

La pyrologie, encore appelée la calorimétrie, est une discipline récente qui s’est structurée autour des travaux de Lavoisier et Laplace effectués dans les années 1780, ce qui explique qu’elle soit regroupée avec la gazologie, ou chimie pneumatique, dans la quatrième section composée de 21 entrées. Hassenfratz dispose pour ses deux leçons dédiées à la chaleur des instruments les plus perfectionnés de son temps, car il a obtenu les appareils de Lavoisier et notamment son calorimètre.

L’étude de l’électricité a connu d’importants progrès depuis un demi-siècle qui lui ont permis de se constituer en discipline majeure. La cinquième section et ses quarante-quatre entrées qui lui sont dédiées attestent de cet engouement partagé aussi bien par les savants que par les amateurs. Si Hassenfratz ne consacre qu’une leçon à l’électricité, il a à sa disposition quatre machines électriques qui sont les instruments les plus récurrents au sein des collections particulières confisquées. Ces appareils sont tout à la fois des objets de récréation et des dispositifs de recherche. Les machines dont hérite l’École Polytechnique incarnent bien cette ambivalence, car elles ont appartenu à l’Académie des sciences, à Lavoisier et à la famille royale. Les modèles choisis comptent parmi les plus récents comme « la machine de taffetas de Rouland » conçue en 1785. Surtout, elles sont accompagnées de très nombreux accessoires qui permettent de multiplier les expériences. C’est d’ailleurs pour leur dimension spectaculaire que ces appareils ont été les principaux supports de la physique amusante si appréciée par les aristocrates durant les dernières décennies de l’Ancien Régime. Le cabinet conserve la trace de cet héritage puisque quelques accessoires aux noms évocateurs ont été intégrés comme « l’œuf électrique, le petit theatre de pantins ou encore les tableaux magiques ». Ces accessoires ont néanmoins été gardés non pas pour leur dimension récréative mais bien pour leur capacité à rendre visible des phénomènes électriques.

Les propriétés de l’aimant sont également enseignées durant une leçon et la sixième section – soit dix-neuf entrées – leur est consacrée. L’étude du magnétisme fait intervenir des pierres d’aimant et des boussoles mais aussi des « joujous magnétiques » comme « une mouche magnétique, une syrene magnétique et un petit peintre » issus du garde meuble, c’est-à-dire des collections royales. Ces objets rappellent la multiplicité des usages de la physique expérimentale à la veille de la Révolution, entre science sévère et science amusante.

L’étude de lumière durant une leçon est rendue possible grâce aux pièces contenues dans la septième section dédiée à l’optique. Les loupes, verres, miroirs, prismes, microscopes et autres lunettes permettent au professeur d’envisager de nombreuses expériences. Il faut noter le nombre très important d’instruments confectionnés en Angleterre où demeurent les meilleurs artistes en optique.

Enfin, les propriétés de l’atmosphère – « la météorologie, l’hygrométrie, la théorie des vents » – qui sont étudiées durant trois leçons peuvent l’être grâce aux nombreux thermomètres, baromètres, aéromètres et hygromètres présents dans les différentes sections de l’inventaire.

La physique expérimentale est donc enseignée de manière encyclopédique à l’École Polytechnique, ce qui constitue une rupture importante par rapport aux écoles d’ingénieurs d’Ancien Régime. Toutefois, les élèves ne manipulent pas, ils sont installés dans une salle disposée en amphithéâtre qui peut accueillir jusqu’à 450 personnes. L’espace central est dévolu à Hassenfratz et se divise en deux pôles : le premier est constitué d’une table sur laquelle sont menées les démonstrations, le second est centré autour de la cheminée de laboratoire qui est nécessaire pour la tenue de certaines expériences. De part et d’autre, à l’est et à l’ouest, se distribuent les quatre cabinets précédemment évoqués. Cette proximité entre les lieux de manipulation et de conservation des instruments permet de limiter les temps de déplacements et de faciliter la préparation des expériences.

La redistribution et ses limites

L’École Polytechnique est donc particulièrement bien dotée en instruments. Elle demeure cependant une exception tant le processus de redistribution s’avère inégal. En plus de cet établissement, seule l’École nationale d’aérostatique de Meudon est équipée par des instruments issus des dépôts. Les nombreuses autres structures dont l’enseignement requiert la présence de ces appareils sont dès lors approvisionnées différemment. L’achat auprès de fabricants parisiens est la voie la plus courante, il en va ainsi pour les cinq écoles centrales de la capitale. De plus, certains établissements reçoivent des collections constituées par d’anciennes institutions royales, comme l’École normale supérieure qui reçoit le cabinet de physique du Collège de France. Enfin, le Muséum d’histoire naturelle obtient, par l’intermédiaire d’André Thouin alors commissaire auprès des armées du Nord, le cabinet du Stathouder confisqué à La Haye au printemps 1795, au motif que ces objets ne sont « ni bien nombreux ni de la meilleure exécution [et que comme] ces instruments ne peuvent convenir au dépôt confié à la garde de Charles […] je prendrai la liberté de proposer de les placer au Muséum d’histoire naturelle […]. Depuis longtemps cet établissement manque d’instruments de physique »25.

Les différentes stratégies mobilisées par les établissements scolaires pour se fournir en instruments en dehors des dépôts s’expliquent par le fait que les collections confisquées ont été utilisées par les autorités thermidoriennes comme des vecteurs de restauration de la concorde nationale. En effet, la majorité des instruments passée par les dépôts est finalement restituée aux héritiers des condamnés. De cette manière, pas moins de vingt-quatre collections particulières, sur les quarante-deux inventoriées par la Commission temporaire, quittent les collections nationales. Le motif principal des sorties d’instruments des dépôts concerne donc les restitutions et non l’instruction publique. En cela, les instruments de physique se démarquent des spécimens d’histoire naturelle, des bibliothèques et des œuvres d’art.

Conclusion

La Révolution française constitue un moment d’intense circulation des instruments de physique, et l’année 1793 est en cela déterminante, car sous le gouvernement révolutionnaire, de nombreux cabinets particuliers sont nationalisés et placés dans des dépôts. La maison d’Aiguillon, vers laquelle convergent principalement ces appareils, devient par leur présence tout à la fois un laboratoire des politiques de conservation des collections scientifiques et de la fonctionnarisation des métiers du patrimoine.

La mise en dépôt témoigne de l’importance nouvelle accordée aux instruments qui doivent servir de supports à l’instruction publique républicaine, dont l’enseignement encyclopédique offre pour la première fois une place autonome aux sciences physiques. Ces disciplines se fondent sur une méthode expérimentale qui doit permettre l’éveil et la maîtrise des sens et donc la formation de l’esprit critique des élèves. En dépit de la volonté proclamée des autorités thermidoriennes de doter les établissements du secondaire et du supérieur en cabinets de physique, force est de constater que la redistribution est très inégale et très en deçà des objectifs annoncés, exception faite de l’École Polytechnique qui détient le plus beau cabinet de la République. La politique de restitution du patrimoine des condamnés à leurs familles se fait au détriment de l’instruction publique.

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Notes

1 Arch. nat., F17 1032, « Procès-verbal de la première séance de messieurs les commissaires nommés par le Comité d’aliénation des domaines nationaux, pour s’occuper d’un travail concernant la recherche et la conservation des monuments relatifs aux lettres, aux sciences et aux arts, provenant du mobilier des maisons ecclésiastiques ». Retour au texte

2 Le terme « encyclopédique » est à considérer selon une double acceptation, « il renvoie non seulement à une volonté d’exhaustivité des connaissances […] mais encore à une organisation ordonnée, une classification des savoirs » (Chappey, 2020 : 23). Retour au texte

3 Arch. nat., F17 1039 A, « Décret de la Convention nationale du 28e jour de frimaire an second ». Retour au texte

4 Arch. nat., F17 1039 A, « Décret de la Convention nationale du 21e jour du 1er mois de l’an second ». Retour au texte

5 Un artiste est entendu ici au sens de praticien des arts mécaniques, par opposition aux arts libéraux. Son activité exige « à la fois un effort physique et l’exercice de l’intelligence » (Sewell, 1983 : 43). Retour au texte

6 L’horloger Berthoud est d’abord nommé avant de se retirer. De plus, la commission de physique accueille deux autres membres Deyeux et Séguin mais ceux-ci sont nommés en janvier 1795 et n’interviennent pas dans les opérations d’inventaire, aussi ne sont-ils pas intégrés à cette étude. Retour au texte

7 Arch. nat., F17 1049, « Liste en supplément des membres de la commission temporaire des arts nommés par arrêté du Comité d’Instruction Publique ». Retour au texte

8 Arch. nat., F17 1237, « Arrêté des Comités d’Instruction Publique, des domaines réunis à la Commission temporaire des Arts ». Retour au texte

9 Des instruments nationalisés sont également présents dans un autre dépôt, celui du Louvre, qui procède de la réunion des collections de l’Ancienne Académie des sciences et du cabinet de Charles que celui-ci a offert à la République en janvier 1792. Le dépôt du Louvre, confié à Charles, n’a pas le statut de dépôt national et surtout il n’accueille quasiment pas d’instruments supplémentaires en dehors des collections précédemment évoquées. Aussi avons-nous décidé de nous concentrer sur le dépôt national installé dans la maison d’Aiguillon. Retour au texte

10 Arch. nat., F17 1046, « Lettre du président de la Commission temporaire au directeur général de l’agence des revenus nationaux ». Retour au texte

11 Arch. nat., F17 1049, « Rapport de la section de mécanique à la Commission temporaire des Arts ». Retour au texte

12 Ibid. Retour au texte

13 Arch. nat., F17 1192 D, « Procès-verbal de la séance de la Commission temporaire des arts du 30 thermidor an II ». Retour au texte

14 Ibid. Retour au texte

15 Arch. nat., F17 1240 A, « Règlement pour les dépôts ». Retour au texte

16 Arch. nat., F17 1192 D, « Procès-verbal de la séance de la Commission temporaire des arts du 30 thermidor an II ». Retour au texte

17 Ibid. Retour au texte

18 Texte du rapport et projet de décret de Fourcroy du 7 vendémiaire an III cité par Langins, 1987. Retour au texte

19 Arch. nat., F17 1383, « Arrêté du Comité de Salut Public du 28 brumaire an III ». Retour au texte

20 Arch. nat., F17 1383, « Arrêté du Comité de Salut Public du 28 vendémiaire an III ». Retour au texte

21 Arch. nat., F17 1383, « Projet des dispositions à arrêter pour l’établissement de l’école centrale des travaux publics dans la partie des bâtiments de la maison des travaux publics destinés à cette école ». Retour au texte

22 Ibid. Retour au texte

23 Arch. nat., F17 1383, « Mémoire des fournitures que moi Bettaly ai avancé dans le courant de brumaire pour le cabinet de physique ». Retour au texte

24 Arch. nat., F17 1219, « État des Instruments de Phisique qui sont actuellement en dépot dans la maison d'aiguillon rue de l'université, dont la collection a été faite par les soins du citoyen Charles, & qu'il est essentiel de mettre en réquisition pour former le cabinet de Phisique de l'école centrale des travaux publics ». Retour au texte

25 Arch. nat., F17 1277, « Lettre de Thouin au Comité d’Instruction publique du 30 floréal an III ». Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Vincent Guillaume, « Des instruments pour la République », Mosaïque [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le 03 décembre 2022, consulté le 14 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/mosaique/385

Auteur

Vincent Guillaume

Agrégé d’histoire, doctorant contractuel en deuxième année à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l’IHMC, Vincent GUILLAUME prépare une thèse sous la direction de Jean-Luc Chappey, intitulée Régénérer et innover. Trajectoires politiques et scientifiques des instruments de physique en temps de Révolution (1789-1803), dans laquelle il étudie les pratiques, les usages et le rôle des collections nationales de physique dans l’affirmation d’un nouvel ordre politique et dans les dynamiques de disciplinarisation des savoirs.

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