Alors, [Dieu] songea à faire une image mobile de l’éternité et, en même temps qu’il organisait le ciel, il fit de l’éternité qui reste dans l’unité cette image éternelle qui progresse suivant le nombre, et que nous avons appelé le temps (Platon, Timée, 37b).
La mesure du temps fut affaire d’astronome bien avant que ne soient inventés les premiers instruments de mesure. Division du temps en vingt-quatre heures, instauration d’un système sexagésimal, la civilisation chaldéenne se fonde sur l’établissement d’une temporalité stable, visant à maîtriser les rythmes de la nature : mesure du temps et cosmologie sont donc étroitement liés (Courant, 2016 : 40). À partir du XVe siècle, les coordonnées temporelles servent aux observateurs à calculer la position des corps célestes. En conséquence, vient alors la nécessité de créer des instruments capables d’indiquer les heures de manière très précise, en fraction de millième de secondes et de fixer ce temps sur des jours voire des années (Landes, 2017 : 137). Au fil des siècles, les physiciens, les astronomes et les horlogers mettent au point des instruments, dont les avancées de plus en plus sophistiquées permettent le développement des garde-temps. Cette sophistication mise au service de l’astronomie ou de la navigation marine entraîne, aussi, une miniaturisation des mécanismes et une introduction des garde-temps dans la sphère privée. Les horloges de table, puis les régulateurs, les cartels et les pendules pénètrent peu à peu dans les foyers les plus aisés, pour se populariser à la fin du XVIIIe siècle. C’est à cette époque que certains maîtres horlogers comme Ferdinand Berthoud, Pierre Le Roy ou Jean-André Lepaute publient des traités qu’ils soumettent à l’Académie des Sciences (Berthoud, 1802 : t.1 ; Le Roy, 1760 ; Lepaute, 1755 ; Cardinal, 1984 : 19-56).
Pour recevoir ces mécanismes, les horlogers collaborent avec des ébénistes et des bronziers qui créent des boîtiers en bois ou en bronze, richement travaillés et agrémentés de figures allégoriques ou mythologiques, pour la plupart en rapport avec le temps. Toutefois, l’interdépendance qui lie l’astronomie à l’horlogerie impose la figure allégorique de l’astronomie comme ornementation logique de l’instrument de mesure. Cette image traverse le temps, même si c’est dans la deuxième partie du XVIIIe siècle qu’elle connaît sa plus grande popularité. Il s’agit ici de comprendre de quelle manière les artistes et les artisans se sont appropriés cette iconographie pour répondre à des préoccupations économiques, artistiques ou sociales.
Iconographie de l’allégorie de l’astronomie
L’image féminine prédomine dans l’iconographie des sciences durant la période moderne, conformément aux traditions qui remonteraient à la représentation de la philosophie par Boèce dans le De Consolatione philosophiae, rédigé en 524 (Schiebinger, 1988 : 663-664)1. Cet usage se développe en fait dès l’Antiquité. On peut citer Anankè, personnification de la philosophie métaphysique, ou les neuf muses, comme Clio, muse de l’histoire, Polymnie, muse de la rhétorique et Uranie, muse de l’astronomie. (Schiebinger, 1988 : 664 ; Le Meur, 1996 : 17-23 ; Platon, La République, 616c)2. Les personnifications des arts libéraux du Quadrivium, dont l’astronomie est l’une des disciplines, reprennent ce principe. Au Ve siècle, dans le De Nuptiis Philologiae et Mercurii, œuvre à l’origine des allégories des arts libéraux, Martianus Capella en fait une description (Capella, BnF. Ms Lat. 8671). Ces allégories que Mercure offre à son épouse Philologie et que l’auteur nomme disciplinae, y sont décrites et sont dotées d’attributs. G. Fleury nous en donne une transcription dans l’article qu’il consacre aux arts libéraux de Capella « Astronomie jaillit d’un cercle de feu, avec une couronne d’étoiles sur ses cheveux et deux grandes ailes aux plumes de cristal. Elle tient une sorte de sextant qui jette des feux, et un livre fait d’un assemblage de plusieurs métaux » (Fleury, 2022 : 2 ; Verdier, 1969 : 307-308).
En 1593, Cesare Ripa publie Iconologia, il y codifie la personnification des différentes figures des sciences, dont l’Astrologie (Ripa, 1643 : 188 et 19)(figure 1)3. Dans sa préface, Ripa précise qu’il s’appuie sur différents textes sans les nommer, mais il est fort probable qu’il ait lu l’ouvrage de Capella qui connut une large diffusion au Moyen Âge4. Il décrit chacune des sciences comme une femme.
Dans le domaine de l’horlogerie, dès le XVIe siècle, les artisans utilisent davantage les figures allégoriques pour leur puissance évocatrice et décorative que symbolique. À cet effet, les boîtiers des premières horloges à poser reçoivent un décor gravé. La figure de l’astronome apparaît aussi à cette époque. Tardy reproduit dans Les Pendules Françaises une série de gravures d’Etienne Delaune qui ornaient les boîtes d’horloge. Delaune, dessinateur, graveur et orfèvre dessine une série de six gravures sur le thème des arts libéraux du Quadrivium et des sciences associées (la Perspective et l’Architecture) figurées par des femmes habillées à l’antique, accompagnées de leurs attributs et entourées de grotesques (Tardy, 1967 : 75). Par la suite, les figures de manière générale tendent à disparaître des boîtes de pendule. Leur ornementation, guidée par un style plus austère, se raréfie. Il faudra attendre l’époque Louis XIV pour voir de nouveau apparaître sur les portes des boîtes, dites religieuses, des appliques figurées. La plupart d’entre elles sont fabriquées en série par les ébénistes eux-mêmes copiant des images convenues auxquelles il est difficile d’attribuer une paternité. Pourtant, certains artisans, ornemanistes, ou architectes, élaborent déjà des modèles originaux. L’architecte Daniel Marot dans un recueil de boîtes de pendule, place sur le chapiteau d’un de ses modèles l’allégorie de l’astronomie (Marot, v. 1712)5 .
La popularité de la figure de l’astronomie décline dans la première moitié du XVIIIe siècle, au même titre que les figures liées au temps. La clientèle leur préfère les scènes pastorales, les amours mythologiques ou les chinoiseries à l’exemple de la pendule sur le thème de la commedia dell’arte de l’horloger Jacques Furet ou de la pendule au rhinocéros du bronzier Jean-Joseph de Saint-Germain (Hughes, 1996 : 397-400). Il faut attendre la deuxième partie de ce siècle, à la faveur de la volonté d’un retour aux sources de l’art pour que, à nouveau, la muse soit convoquée pour orner les pendules.
La pendule de l’Astronomie d’après Nicolas Pineau
Vers 1744, le comte Jan Klemens Branicki, aristocrate polonais, commande par l’intermédiaire du marchand-mercier Lullier de Varsovie, à l’ébéniste Jacques Dubois une encoignure de style Louis XV dont le modèle fut dessiné par l’architecte N. Pineau (Moliner, 1896 : 146-147) (figure 2). Le meuble conservé au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, supporte une pendule signée de l’horloger Etienne Le Noir II sur laquelle trône en son sommet la figure de l’astronomie.
L’originalité de ce modèle réside dans l’association de la muse et de l’aigle qui semble être un modèle unique dans l’ornementation horlogère. Le traitement appliqué à la muse diffère de l’iconographie habituelle. Assise sur un nuage et appuyée sur le globe, elle tient dans sa main droite une lunette astronomique et désigne du doigt l’oiseau qui la regarde. Sur sa tête, elle porte un diadème étoilé et, sur sa poitrine, un médaillon à l’effigie du soleil. Son manteau se détache de son corps semblant s’envoler sous l’effet du vent. Si l’iconographie semble reprendre la description qu’en fait Ripa, l’aigle est plutôt absent de la typologie de l’allégorie de l’astronomie dans les représentations françaises, tant au Moyen Âge qu’à la Renaissance. Il semble qu’ici l’aigle fasse référence à la Pologne (Wilson et al., 1896, vol.3 : 146-147 ; Verlet, 1991 : 181). Son utilisation est plus courante dans les représentations artistiques du nord-est de l’Europe au XVIe siècle. En 1565, Cornelis Cort réalise plusieurs gravures d’après des dessins de Frans Floris, sur le thème des Sept arts libéraux, dont une allégorie de l’astronomie accompagnée de l’aigle6 (figure 3). On retrouve ce motif sur une gravure de Johann Sadeler d’après un dessin de Maarten de Vos, gravé entre 1560 et 16007, ainsi que dans une autre, issue encore d’une série de 1645, représentant les Sept arts libéraux de Frantz Cleyn (Guilmard, 1880-81 : 398)8. Quant au médaillon en forme de soleil qui orne la poitrine de l’allégorie sur la pendule, on le retrouve partiellement dans une gravure de Cornelis Jacobsz d’après Henrick Goltzius. En effet, sur la gravure, le médaillon est composé du soleil surplombant la lune9 (figure 4). L’astre du jour associé à la nuit symbolise le cycle perpétuel des jours. Là encore, ce motif s’apparente plus aisément à une représentation septentrionale, comme on peut le constater sur les trois gravures précédemment citées dans lesquelles les artistes font porter par la muse une cuirasse gravée d’un soleil et d’une lune.
Les pendules à l’Astronomie
En 1763, l’ébéniste Antoine Foullet conçoit le dessin d’une allégorie nommée Grande Prudence (Foullet, 1755-1780 : pl.10 ; Pradère, 1989 : 275-277)10 (figure 5). Cette représentation de goût néoclassique inaugure un renouveau stylistique. Les pendules en bronze supplantent peu à peu les modèles d’ébénisterie et connaissent un très grand succès encouragé notamment par les commandes royales (Verlet, 1987 : 62). L’impossibilité légale faite aux ébénistes de fondre eux-mêmes leurs bronzes entraîne une obligation pour ces derniers de faire appel à des bronziers (Verlet, 1987 : 153). Saint-Germain adapte et exécute les modèles de Foullet et en profite pour intégrer ce nouveau modèle à son propre catalogue (Augarde, 1996 : 305 ; 1996 : 74-75 ; Ottomeyer Pröschel, 1986 : 162 ; Tardy, 962, vol. 2, p. 113). À partir de la Grande Prudence, il invente une Astronomie assise sur un socle orné de postes ornementaux11, tenant une lunette dans sa main droite, posant la main gauche sur le tambour de la pendule12, lui-même soutenu par des livres. Sa tête légèrement inclinée regarde s’écouler les heures et son visage affiche un air paisible. Son épaule droite est dénudée, laissant apparaître le galbe de son sein. Le ou les rouleaux de parchemin, que le dessin présentait déjà, sont insérés pêle-mêle sous les livres. Saint-Germain y ajoute le zodiaque et une sphère étoilée, deux attributs qui identifient l’allégorie sans aucune équivoque.
La sphère dans le monde gréco-romain symbolise le grand tout, l’univers sphérique (Arnaud, 1984 : 57). La paternité de la sphère céleste est attribuée à Thalès, puis Eudoxe lui aurait ajouté les images symboliques des constellations. Les textes antiques indiquent que les sphères servaient dans les écoles à l’enseignement des sciences (Hygin, IIe av. JC, trad. Le Boueffle, 1983 : IX- XI). Cette sphère est reproduite sur différents supports (Schefforld, 1943 : 154 et pl. 121)13. Elle sert d’attribut à la muse Uranie (Brendel, 1977 : 14 pl. VIII)14. Le lien avec la muse apparaît dans les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis (450 et 470). La sphère, habile ouvrage d’Uranie, fut offerte en prix dans le défi qui opposa Hyménée, le fils de la muse à Éros (Nonnos de Panopolis, trad. Comte De Marcellus, 1856 : XXXIII).
Ainsi, beaucoup d’horlogers associèrent leur nom au modèle de Saint-Germain et les nombreuses variations existantes résident dans les accessoires qui accompagnent la muse (Tardy, t.2, 1967 : 113)15. Dans le même esprit, le bronzier Robert Osmond propose, à son tour, son interprétation de la muse selon un dessin du sculpteur Jean-Louis Prieur (Ottomeyer Pröschel, 1987 : 166)16 (figure 6). Il place la muse dans une position identique, assise sur une colonne tronquée à la droite du tambour, également soutenu par une colonne, et harmonise la composition avec un globe sur trépied et des accessoires astronomiques. La composition moins massive s’appuie sur une base rectangulaire à gradins à fond convexe, sur laquelle il conserve les postes ornementaux du modèle de Foullet. L’horloger Robert Robin insère le mouvement mécanique d’une adaptation du modèle d’Osmond et y ajoute un livre et un rouleau, sur lequel est gravé notamment un cadran solaire17. Notons que l’ensemble de ces modèles s’affranchit d’un certain nombre de recommandations prodiguées par Ripa. La muse ne contemple plus le ciel, elle devient témoin du temps qui s’écoule. L’aspect céleste et immatériel du temps est comme enfermé dans un instrument qui en donne la mesure. Cette captation du temps est l’illustration de l’ambition des horlogers d’être reconnus comme des scientifiques, seuls capables de « dompter le temps ».
Les pendules à l’Astronomie des sculpteurs
J.-L. Prieur conçoit plusieurs modèles dont celui réalisé par Osmond, ainsi qu’un autre sur le même thème mais foncièrement différent, aujourd’hui disparu (Hughes, 1996, vol. 1 : 459-462 ; Ottomeyer Pröschel, 1996, vol. 1 : 166)18. La muse est allongée dans une pose alanguie sur la terrasse, le coude appuyé sur un livre rangé sur la tranche. Sa tunique glisse de son épaule et laisse apparaître la nudité de son sein. Elle contemple le parchemin que lui tend un putto sur lequel est gravé un globe. La pose de la muse comme la composition générale est à rapprocher des figures employées par Saint-Germain dans les pendules à l’Étude ou dites aussi à l’Emploi du Temps qu’il conçut entre 1765 et 1770 (Baulez, 1989 : 40-41 ; Augarde, 1996 : 80). Le sein laissé nu de la muse est peu courant dans les représentations de pendules à l’Astronomie. Un autre modèle, plus tardif, la pendule à l’Astronomie de l’horloger Jean-Nicolas Schmit, sortie de la manufacture du duc d’Angoulême vers 1790, réalisé par le sculpteur Charles-Gabriel Sauvage dit Lemire, nous montre cependant ce même détail. Ce sein découvert apparaît vers 1524-1562, dans une gravure de Virgile Solis, peintre et graveur allemand d’Ovidii Metamorphosis dans laquelle il dessine les neuf muses19. La signification du sein nu peut revêtir plusieurs aspects tant positifs que négatifs. Si elle peut parfois correspondre à la luxure ou l’envie, elle définit aussi la nourriture tant physique qu’intellectuelle. Ripa parle de fécondité des belles pensées en dénudant la Poésie (Ripa, 1643 : 120) et de vérité dans la figuration de l’Éducation (Ripa, 1643 : 184).
Ce type de production intéresse également Jean-Antoine Houdon qui fournit lui aussi plusieurs modèles aux artisans, dont celui d’une pendule vendue au prince de Condé en 1770 (Verlet, 1987 : 35 ; Scherf, 2006 : 22). Mais avant cela, dans sa Description de plusieurs ouvrages d’horlogerie, rédigé en 1766, l’horloger Jean-André Lepaute mentionne une pendule à l’Astronomie et atteste de cette collaboration (Lepaute 1767 : V)20. S’il précise qu’il s’agit d’un modèle d’après Houdon, aucune autre information ne vient le confirmer (Verlet, 1987 : 35). Le Metropolitan Museum de New York conserve un exemplaire assez similaire de cette dernière (figure 7). Uranie se dresse debout s’accoudant au tambour contenant le cadran perché sur un pilastre cannelé. Vêtue d’une tunique à l’antique, sa taille est entourée d’une ceinture étoilée. Sa chevelure est retenue par un bandeau. Elle serre dans sa main un rouleau sur lequel sont gravés des symboles zodiacaux de la balance et du scorpion. À l’opposé un putto, assis sur des livres, porte un oiseau sur l’épaule. À ses pieds, derrière un hémisphère marqué de 10-100, une carte reprend la gravure de l’éclipse lunaire survenue le 1er avril 1764. Cette iconographie exceptionnelle conserve encore un certain mystère mais elle pourrait symboliser l’hommage que l’horloger rend à son épouse, l’astronome Nicole-Reine Lepaute. (Sullivan Clare Leopold, 2015 ; 182-187 ; Gazette de France, 1764 : 92)21. Celle-ci avait, par ses calculs, prédit la date de l’éclipse future et en avait dressé la carte. Cette hypothèse pourrait être confirmée par l’oiseau sur l’épaule du putto, certainement une colombe, attribut de Vénus et symbole du lien marital entre l’horloger et l’astronome (Tervarent, 1997 : 135). On retrouve cet oiseau entre les mains de la Douce Mélancolie qu’Etienne Maurice Falconet aurait réalisée vers 1760 pour Ange-Laurent de La Live de Jully après le décès de son épouse (Pinot De Villechenon Milande, 2001 : 94-95). En 1753, le couple rencontre l’astronome Jérôme de Lalande. Celui-ci apporte à l’horloger son soutien dans la rédaction de son traité d’horlogerie, dans lequel figure notamment l’invention de systèmes permettant de calculer le temps vrai et le temps moyen. Nicole-Reine, dans cet ouvrage, établit des tables de nombre d’oscillations en fonction des longueurs des pendules.
L’implication de sculpteurs de renom, à l’apogée de leur carrière, dans la réalisation des modèles, démontre la préoccupation des artisans d’offrir à leur clientèle des pendules comparables à des œuvres d’art. Cette coopération enrichit le modèle, mais tend à reléguer l’aspect mécanique au second plan. Une inquiétude à laquelle les horlogers remédient en créant des modèles dépourvus d’iconographie, comme le fait l’horloger Antide Janvier en inventant des modèles à sphères mouvantes (Augarde, Ronfort, 1999 : 13-16)22.
Les modèles d’exception
L’intérêt pour les sciences dépasse le cercle des seuls érudits. Les livres de vulgarisation scientifique rendaient plus abordables les comptes-rendus savants. L’ouvrage de Fontenelle Entretiens sur la pluralité des Mondes édité en 1686, semble être le premier essai de diffusion de l’astronomie cartésienne dans un contexte de libertinage érudit où sciences et mondanités semblent se confondre. (Chassot, Paris, 2011 : 153-155). Pour autant, il ne destine pas son œuvre à un lectorat étendu. (Fontenelle, 1899 : X). C. Cazanave précise même qu’il façonne un public qui n’existe pas encore (Cazanave, 2002 : 267-280). En transcrivant des entretiens qu’il aurait eu avec la marquise de G*** (Le Lay, 2002 : 35)23, il s’adresse à un public d’honnêtes gens tout en privilégiant un public mondain féminin (Fontenelle, 1899 : XI). Au siècle suivant, l’abbé Pluche publie son Spectacle de la nature en 1732, Voltaire rédige les Éléments de la philosophie de Newton en 1738, nourris des travaux d’Émilie du Châtelet (Hermann, 2008) et Jérôme Lalande édite en 1795, l’Astronomie des dames. Ce phénomène s’étend dans toute l’Europe (Harris, 1736). Ces ouvrages connaissent une grande popularité et de nombreuses rééditions grâce à la diffusion de la pensée des Lumières hors des sociétés savantes et grâce, aussi, à cette idée que l’érudition est une vertu qui doit caractériser toute personne de qualité, à l’image de Madame Sophie de France qui participe à la construction d’un télescope (Charles et al., 1997 : 260). Si, dès le XVIIe, ce fut dans les salons que se développa cette passion de l’étude des sciences, l’implication des femmes dans la vie scientifique n’est pas inédite. Nombre d’entre elles, telles que N.-R. Lepaute, Sophie Germain et Émilie du Châtelet, ont participé de manière active à la recherche dans de nombreuses disciplines, mais la reconnaissance de leur contribution se heurta à la misogynie du monde scientifique (Satori, 2006 : 197-203, 213, 237). Deux modèles de pendule témoignent de l’attrait des femmes pour les sciences.
Le premier, intitulé La Leçon d’astronomie ou d’Hypatie fut réalisé entre 1770 et 1785. Seuls deux exemplaires sont connus, l’un réalisé par l’horloger Patrichon et l’autre serait de Charles Le Roy24 (figure 8). Cette pendule présente une femme, vêtue à l’antique, lisant un livre, devant la borne qui supporte une sphère armillaire. À l’opposé, une fillette l’écoute attentivement, un rouleau à la main. Peu de représentations montrent cet intérêt croissant chez les femmes pour les disciplines scientifiques comme l’astronomie, pratiquée soit à titre professionnel, soit en dilettante. Elles lisent une littérature de plus en plus accessible (Mercure Galant, 1768 : 166)25 et assistent à des démonstrations publiques, d’autres s’offrent des professeurs particuliers26. Ce phénomène est suffisamment notable pour que quelques artistes choisissent de l’illustrer27.
Le modèle signalé aborde un thème peu commun, celui de l’accès des femmes aux sciences. L’éducatrice qui dispense sa leçon pourrait être Uranie, mais elle pourrait aussi bien faire référence à Hypatie (Satori, 2006 : 63-65)28. Il est cependant difficile de déterminer s’il s’agit bien de la savante mais la rareté du sujet interpelle et invite à bien des interprétations. Il apparaît peu probable qu’il s’agisse d’une commande particulière, car aucun motif ne vient rattacher l’objet à une personne en particulier. Cependant, il est possible d’établir un lien entre Hypatie et la philosophie alexandrine. En effet, cette philosophie repose sur une méthode consistant à accueillir tous les points de vue des différentes écoles de pensées sans en rejeter aucune, puis de les concilier en un point de vue synthétique plus général (Janet, 1966 : 517). Ce principe s’oppose au dogmatisme et au syncrétisme critiqués par certains philosophes dont Voltaire (Cronk, 2006 : 275-284)29. Il présente la mort d'Hypatie comme un meurtre perpétré par les « dogues tonsurés de Cyrille, suivis d'une troupe de fanatiques » (Voltaire, 1776 : 185). Cette union raisonnée des savoirs fut appréhendée par Diderot dans l’Encyclopédie. Dans son article Éclectisme, le philosophe souligne la contribution des femmes au développement des sciences et vise à retrouver une période de l’humanité où le sens critique s’exerçait dans une sorte « d’état de nature » de la pensée (Diderot, Enc, vol. V, 1755 : 270a ; Martincourt, 2003 : 23). Il présente Hypatie comme la figure martyrisée de la liberté de penser par soi-même et évoque la persécution dont elle fut victime de la part de l’autorité religieuse (Diderot, Enc, vol. V, 1755 : 282a).
Le deuxième type de pendule, du début du XIXe siècle, a été imaginé par Jean-André Reiche et probablement réalisé par le bronzier Claude Galle (Samoyault, 1989 : 58 ; Ottomeyer Pröschel, 1996 : 374-375) (figure 9). La pendule la Leçon d’astronomie s’inscrit dans cette volonté de présenter une iconographie liée à l’instruction, comme celle des pendules à l’Étude. Ces pendules, souvent réservées aux cabinets ou aux bibliothèques, rendent hommage à la transmission du savoir. Son iconographie présente deux femmes assises devant une table. La plus âgée semble expliquer à la plus jeune les détails des fuseaux horaires, à partir d’une carte posée devant elles et retenue par une sphère armillaire. Le livre ouvert que tient la jeune fille symbolise aussi la leçon. Sur la terrasse, sont disposés autant d’attributs indispensables à l’enseignement (Ottomeyer Pröschel, 1996 : 374-375).
La volonté de l’artiste fut d’inscrire la pendule dans son temps, tant dans le choix des vêtements que dans celui du mobilier, notamment avec la table de travail à piétement à pattes de lion et les sièges gondoles imaginés par Charles Percier et Pierre Fontaine (Percier Fontaine, 1812 : pl. 103). Le succès de cette pendule se traduit par l’exploitation du modèle par de nombreux horlogers, comme Balthazar ou Piolaine à Paris (Ottomeyer Pröschel, 1996 : 374-375)30. Le motif de la sphère armillaire constitue un changement dans la représentation de la sphère céleste. Elle représente la Terre au centre du système géocentrique de l’univers. Plus facilement compréhensible que le globe, son utilisation pédagogique remonte à l’Antiquité (Aujac, 1993 : 135 ; Arnaud, 1984 : 65). Outil de manipulation, l’aspect symbolique de l’objet laisse place alors à un aspect éducatif. Notons que dans le domaine de l’horlogerie, la première sphère armillaire apparaît à l’amortissement de la pendule dite de Passemant née de la collaboration de Claude-Siméon Passemant et de Louis Dauthiau et présentée à Louis XV en 1750 (Guiffrey, 1877 : 75). Puis en 1784, A. Janvier présente à Louis XVI ces deux pendules à sphères mouvantes. Il conçoit par la suite de nombreuses autres ainsi que des pendules à planétaire qui connaissent un certain succès.
La spécificité de ces deux modèles résulte dans le traitement iconographique original et inédit de l’allégorie de l’astronomie. L’incarnation impersonnelle de la science est supplantée par une figure de femme « réelle » mise en situation d’une leçon. Il s’agit ici de mettre en relief l’instruction des filles dans le domaine. Une instruction dite mondaine car dispensée en dehors des universités, auxquelles les filles, même issues de la haute société, n’ont pas accès. En France, les femmes reçoivent un enseignement dispensé soit par un professeur particulier masculin, soit dans les salons31. De plus, les femmes scientifiques ont souvent un lien de filiation avec un scientifique ou sont issues d’une famille riche et ouverte d’esprit. Il est aussi question dans cette iconographie de la femme scientifique en tant que transmettrice de savoir, rôle qui ne saurait leur être reconnu (Baudet, 2014 : 60)32. Cette image met en relief l’enseignement réservé aux filles tout en réintégrant l’allégorie dans le monde contemporain, la rendant de fait, plus accessible à la compréhension. Un lien existe alors entre la pendule, objet de salon, et la pratique de cet enseignement particulier.
Conclusion
La popularité de l’iconographie de l’astronomie en tant qu’ornementation des pendules s’explique notamment par l’engouement pour les sciences d’un public de plus en plus large. Cet intérêt se développe au XVIIe siècle et prend de l’ampleur au siècle suivant. Ces pendules ornées d’une iconographie savante sont souvent destinées aux lieux d’étude, véritable célébration d’une technique horlogère qui fait écho à l’homme de science et à la transmission du savoir. La pendule participe par son ornementation à un décor d’ensemble qui magnifie le lieu et sa fonction. Cependant, la symbolique de l’iconographie évolue à la fin du XVIIIe siècle, la femme n’est plus représentée comme l’inspiratrice du savant, mais comme le savant lui-même.
Cet attrait pour la muse s’explique également par les liens étroits qui existent entre ces deux sciences. La dépendance de l’astronomie aux instruments de mesure que les horlogers fabriquent puis, plus tard, leur implication dans le calcul de la longitude, les incitent à revendiquer leur implication dans les sciences. Le motif de l’allégorie synthétise ces ambitions. De plus, leurs prétentions vont les pousser à réaliser des modèles complexes dénués de toute ornementation, pendules à sphère mouvante, à indications astronomiques, avec phases de lune ou à planétaire (Herve, 2013-2014 : 175-176)33. Pourtant, il leur est difficile de ne pas se laisser tenter par l’ajout d’un décor, ne serait-ce que pour séduire leur clientèle. Lorsque les frères Raingo, déposèrent en 1829, un brevet d’invention d’une pendule qui « enferme, dans ses parties les plus importantes, des effets qui n’ont pas encore été mis en usage »34, c’est encore la muse Uranie qui est convoquée pour orner le boîtier.
Les allégories des sciences comme la figure d'Uranie restent des motifs à la mode, toujours exploitées et adaptées au goût du moment jusqu’au milieu du XIXe siècle (Tardy, 1967 : 187 ; Ducamp, 1993 : 186, Augarde, 1996 : 147)35. En effet, dès les années 1820, les grands horlogers, tels Abraham-Louis Breguet ou A. Janvier, cessent de s’associer aux sculpteurs de renom, la source créative se tarit et l’aspect scientifique prévaut sur l’esthétisme.