Explication physique, mythe et causalité des Formes platoniciennes 

Une lecture critique de la critique aristotélicienne de la physique de Platon

DOI : 10.54563/mosaique.419

Résumés

Pour pointer l’inutilité des Formes intelligibles platoniciennes pour expliquer les phénomènes physiques, Aristote renvoie leur rôle de « modèle » des objets sensibles à des « mots creux » et des « métaphores poétiques ». Ce travail vise à montrer que, pour inconséquente qu’elle soit dans le cadre de la physique aristotélicienne, la conceptualisation platonicienne des Formes comme causes du devenir est cohérente mais implique de repenser profondément la vocation d’une explication des phénomènes physiques et naturels. Platon élabore un type de causalité qu’on peut appeler « paradigmatique » et qui unifie enjeux axiologiques, moraux et politiques, et science physique. La physique a pour rôle de produire la condition d’intelligibilité de notre capacité à agir sur le sensible, au moyen d’un mythe vraisemblable et d’images, et fait apparaître le refus platonicien d’opposer comme Aristote savoirs pratique et productif d’une part, et connaissance théorique de l’autre.

In order to point out the uselessness of Plato’s intelligible Forms to explain physical phenomena, Aristotle reduces their role as 'models' of sensible objects to 'empty words' and 'poetic metaphors'. This paper aims to show that, inconsistent as it may be within the framework of Aristotelian physics, the Platonic conceptualisation of Forms as causes of the becoming is coherent and reconfigures the explanation of physical and natural phenomena. Plato develops a type of causality that can be called 'paradigmatic' by challenging the boundary between axiological, moral and political issues on the one hand and physical science on the other. The role of physics is to produce the condition of intelligibility of our capacity to act on the sensible, by means of a likely myth and images, and reveals the Platonic refusal to oppose, as Aristotle does, practical, productive knowledge on the one hand and theoretical knowledge on the other hand.

Index

Mots-clés

Cause, explication physique, science et politique, Platon, Aristote, Timée, mythe, cosmos

Keywords

Cause, physical explanation, science and politics, Plato, Aristotle, Timaeus, myth, cosmos

Plan

Texte

Je remercie chaleureusement, outre les éditeur.rice.s de ce numéro, les deux commentateur.rice.s anonymes, dont les remarques ont bénéficié à ce travail.

« Mythe vraisemblable » et explication physique

Dans le Timée de Platon, la fabrication du monde par un démiurge, un artisan divin, fait l’objet d’un « mythe vraisemblable ». Ce régime discursif est justifié en tant que tel par son narrateur Timée :

De toute évidence, peut être appréhendé par l’intellect et faire l’objet d’une explication rationnelle, ce qui toujours reste identique. En revanche, peut devenir objet d’opinion au terme d’une perception sensible rebelle à toute explication rationnelle, ce qui naît et se corrompt, ce qui n’est réellement jamais1.

C’est une différence ontologique entre le monde sensible et les Formes intelligibles qui fonde deux régimes épistémiques distincts. L’« intellection accompagnée de raison » ne peut saisir que ce qui est totalement dénué de mouvement, c’est-à-dire ce qui est véritablement ; au contraire, « ce qui devient toujours, sans être jamais »2 ne peut faire l’objet que d’« opinion accompagnée de perception sensible dénuée de raison ».

Cette différence ontologique ne signifie pas qu’il est impossible de tenir aucun raisonnement sur le monde matériel que l’on perçoit par les sens (plutôt que par l’intellection) ; au contraire, l’interrogation à son sujet est immédiatement articulée en termes de causalité : « A-t-il toujours été, sans aucun principe de génération ? Ou bien a-t-il été engendré, tirant son origine d’un principe ? »3. Ce qui fait le propre de l’univers, c’est qu’il s’appréhende par les sens (αἰσθητός) ; donc il a été engendré (γιγνόμενον : « ce qui devient », comme « ce qui a été engendré »). Or ce qui a été engendré l’a été « sous l’effet d’une cause » (Johansen, 2014 : 297-300). A partir de l’engendrement, Timée recherche la cause sur le modèle de la parenté (le « père »), ou de la production, de la fabrication (ποιητὴν καὶ πατέρα, 28c3). Il privilégie nettement la seconde option sans le justifier explicitement, ni totalement abandonner le modèle de l’engendrement selon la parenté, repris pour examiner la « matière », c’est-à-dire le substrat indéterminé qui reçoit toutes les formes à l’origine des objets sensibles.

Le modèle démiurgique, artisanal, permet de décrire une relation à trois termes4 : le démiurge, ou fabricant — qui est la « cause » de l’engendrement, qualifié de « production » —, le modèle que sont les Formes intelligibles, et le réceptacle qui donne sa matérialité à la copie issue de cette production. La beauté de l’univers sensible et la bonté du démiurge, respectivement effet et cause d’une activité de production, servent de prémisses à la divinité du modèle de cette activité démiurgique5. La différence ontologique de départ, qui oppose objets sensibles et intelligibles, est donc reformulée dans les termes d’une relation d’image à modèle et de conformité, de ressemblance.

Ce développement fait suite à la clarification liminaire du statut même du discours tenu : un mythe vraisemblable. Pour comprendre comment lier le statut du discours et ce schéma démiurgique, il faut voir que deux relations se superposent. D’abord, il y a la relation de copie à modèle qui lie le monde sensible à son modèle intelligible, mais aussi rapport de correspondance entre le discours et son objet. Ces deux relations se superposent et permettent de justifier que le type de discours qui porte sur le monde sensible consiste dans un mythe vraisemblable, qui produit une « croyance », ou une « opinion » (ce qui correspond à la perception sensible par différence avec l’intellection), et souffre certaines incohérences ou inexactitudes : « Ce que l’être est au devenir, la vérité l’est à la croyance »6.

Ce faisant, le discours instruit sur le monde physique et en mouvement ne possède pas le même type de scientificité que celui qui porte sur les objets éternels et identiques à eux-mêmes que sont les Formes intelligibles. Il n’est pas pour autant dénué de toute rationalité : le rapport de ressemblance entre sensible et intelligible fonde l’identification de structures mathématiques qui informent l’univers matériel. Mais une originalité centrale du récit du Timée consiste précisément dans la conjonction de cette mathématisation avec la forme mythique et « vraisemblable » de l’explication qui la justifie7. C’est sur le mode du vraisemblable que l’on parvient à détecter la ressemblance à l’être véritable qui est celle de l’univers sensible.

« Mots creux » et « métaphores poétiques » : la critique aristotélicienne

L’un des premiers critiques de l’allure mythique que prend cette explication des phénomènes physiques fut Aristote, qui l’articule à une critique de la définition platonicienne des Formes intelligibles. Je m’intéresserai prioritairement aux arguments qui se rattachent directement au récit du Timée, en laissant de côté une partie de ceux qui portent uniquement sur le statut métaphysique des Formes8. L’exposé du contenu de ces arguments permettra ensuite d’expliquer en quoi la critique aristotélicienne est utile pour déterminer le fonctionnement et la portée exacts de la causalité physique conceptualisée dans le Timée. C’est là ce qui fait l’originalité de cet article : si un travail important a été fait sur la critique aristotélicienne de la causalité platonicienne pour expliquer les phénomènes physiques (Auffret, 2011 : 271-278 ; Lefebvre, 2013 : 305-308), la plupart des études explicitent le bien-fondé des arguments d’Aristote en laissant de côté la reconstruction de la cohérence propre à l’argumentation platonicienne.

Les critiques d’Aristote au sujet de la physique platonicienne s’articulent principalement sur deux plans : elles visent d’une part l’inutilité des Formes intelligibles pour expliquer le devenir sensible (Frede, 2012 : 370-372), et de l’autre le caractère métaphorique des explications platoniciennes. L’attaque formulée en Métaphysique A 9 est intéressante parce qu’elle conjoint ces deux plans. Après avoir défini la « sagesse » comme science des causes, Aristote pointe que la plus grande difficulté réside dans l’inutilité des Formes pour expliquer le devenir sensible : leur connaissance en devient absolument vaine. Ce reproche est plus dirimant encore que les problèmes d’application que ces entités posent, ou la difficulté à prouver leur existence (Fronterotta, 2001 : 129-154 ; Frede, 2012 : 151). À côté de la référence au Phédon, ces critiques visent le Timée (Auffret, 2011 : 272) :

Quant à dire que <les Formes> sont des modèles (παραδείγματα) et que le reste participe (μετέχειν) d’elles, il s’agit de mots creux et de faire des métaphores poétiques. De fait, qu’est-ce qui travaille (τὸ ἐργαζόμενον) en portant son regard vers les Idées (πρὸς τὰς ἰδέας ἀποβλέπον) ? Il est possible qu’une chose quelconque soit et naisse semblable à une autre sans être faite à son image (μὴ εἰκαζόμενον πρὸς ἐκεῖνο), de sorte que, que Socrate soit ou ne soit pas, il pourrait naître un homme semblable à Socrate ; et semblablement, évidemment, même si Socrate était éternel9.

Aristote distingue lui-même deux types de problèmes que soulève le type de causalité propre aux Formes platoniciennes : il s’agit d’une part de « formules creuses », et d’autre part de « métaphores poétiques » (κενολογεῖν ἐστὶ καὶ μεταφορὰς λέγειν ποιητικάς). Je prendrai appui sur deux groupes d’extraits des œuvres d’Aristote pour distinguer et préciser ces deux reproches : d’une part, l’inutilité de la Forme du Bien comme « modèle » est défendue dans les Ethiques ; de l’autre, le régime métaphorique de l’examen est critiqué dans la Physique et dans le Traité du ciel.

« Mots creux » : régionalisation du savoir contre généralité des Formes

Très souvent, Aristote pointe que la thèse de l’existence des Formes intelligibles est une conception « vide ». Ce reproche d’inanité vise en fait l’absence de spécification du champ d’application des Formes, leur trop grande généralité. De fait, Aristote distingue différents domaines de recherche philosophique — pratique, poïétique (productrice) et théorique —, qui impliquent une ontologie et donc des méthodes différentes10, de sorte à établir les conditions de possibilité de toute recherche. Toute démonstration, si elle est véritablement scientifique et ne se limite pas à une opinion (Dixsaut, 2004 : 86), doit valoir dans le cadre de cette division. Le début de l’Éthique à Eudème, I, 1, 1214a9-14, à cet égard, est très clair11. Aristote met en œuvre cette méthode au sujet de la connaissance physique ; en Métaphysique E 1, il la caractérise comme un savoir théorique :

Et puisque la science physique aussi se trouve porter sur un certain genre de l’être (car elle porte sur une substance telle qu’en elle se trouve le principe du mouvement et du repos), il est évident qu’elle n’est ni pratique ni poïétique12.

On peut lier cette nécessité méthodologique, qui consiste à toujours spécifier préalablement le type d’objets auxquels on a à faire, ainsi que le domaine (pratique, poïétique ou théorique) dans lequel situer l’examen, et la critique des Formes. Les Ethiques permettent de clarifier comment la critique de l’inanité du type de causalité propre aux Formes platoniciennes est adossée à la nécessité méthodologique d’adopter une telle régionalisation des sciences. Dans l’Éthique à Eudème, Aristote dénonce l’« inculture » qui consiste à ne pas bien distinguer entre des domaines différents, notamment celui du « pourquoi », c’est-à-dire l’explication par une cause universelle établie démonstrativement, propre au savoir théorique, et du « comment », qui ne consiste pas dans une démonstration mais dans une forme de mise en évidence qui convient au champ pratique. Aristote conclut que les « arguments étrangers au sujet traité » sont « vides »13, ce qui rappelle le verbe κενολογεῖν de l’attaque de Métaphysique A 914.

Aristote ne s’est pas contenté de viser la diversité des sujets qu’un ouvrage comme la République aborde (Watson, 1909 : 83), mais aussi la façon dont la causalité des Formes est à l’intersection des champs pratique et théorique, de sorte à enfreindre une telle régionalisation des sciences. Ce problème apparaît plus clairement dans la République, où la Forme du Bien, elle-même cause des Formes, constitue explicitement à la fois un principe ontologique, épistémologique, en tant que cause des Formes intelligibles, et une norme d’action que désire l’âme (Santas, 1999 : 273-274 ; El Murr, 2014 : 57). Cette conception fait l’objet d’une critique sans appel : la définition platonicienne se dote d’une telle généralité qu’il s’agit de « propos dialectiques et creux »15. La critique s’applique, au-delà des seuls phénomènes naturels, à toutes les figures artisanales qui chez Platon rapportent une production matérielle à une norme à laquelle elle se conforme et qui permet de penser la bonne finalité de l’objet (Barney, 2007 : 295). Dans l’Éthique à Nicomaque I, 6, Aristote discute la supposée fonction de « modèle » (1097a2 : παράδειγμα) dont se doterait le Bien pour tous les hommes de métier (τοὺς τεχνίτας ἅπαντας) : aucun d’eux ne trouve d’« utilité » (ὠφεληθήσεται) à « porter le regard » (ἐπισκοπεῖν) sur la Forme du Bien (1097a5-13). Le reproche d’une argumentation « vide » recouvre un enjeu méthodologique bien précis : là où Aristote défend que « "bien" se dit en plusieurs sens, en autant de sens qu’"étant" »16 et que ces sens doivent être absolument distingués, Platon lui donne la signification conjointe d’une cause ontologique et d’une norme d’action.

Phénomènes naturels et schème artisanal

Néanmoins, même si on retrouvera, à l’issue de notre examen, l’enjeu d’une séparation entre savoirs pratique et théorique, dans le cas de la cosmogénèse du Timée, ce sont des Formes précises que la production démiurgique prend pour modèle. Différemment, l’inutilité des Formes pour expliquer le devenir physique (comme dans le cas de l’existence de Socrate) prend implicitement appui sur la distinction des opérations de l’art et de la nature. C’est d’abord l’absence de pertinence du schème artisanal pour rendre compte des phénomènes naturels qui peut le renvoyer à une simple image.

Le même passage de Métaphysique A 9 (991a20-27) reprend les caractères essentiels de l’action démiurgique qui implique la fonction causale des Formes comme « modèles » (παραδείγματα), auxquels « participent » (μετέχειν) les objets sensibles. Cette participation est pensable en lien avec une activité artisanale décrite à travers quelque chose qui œuvre (τὸ ἐργαζόμενον) « en portant son regard vers les Idées » (πρὸς τὰς ἰδέας ἀποβλέπον). Même si c’est pour critiquer cette conception, Aristote explicite le fait que ce « travail » aboutit à une conformité de ce qui est produit et à un rapport d’image à modèle (εἰκαζόμενον πρὸς ἐκεῖνο). Ces caractéristiques figurent explicitement dans le Timée, notamment en 28a6-b2 :

Aussi, chaque fois qu’un démiurge fabrique (ἀπεργάζηται) quelque chose en posant les yeux (βλέπων) sur ce qui toujours reste identique et en prenant pour modèle (παραδείγματι) un objet de ce genre, pour en reproduire la forme et les propriétés (τὴν ἰδέαν καὶ δύναμιν αὐτοῦ ἀπεργάζηται), tout ce qu’il réalise en procédant ainsi est nécessairement beau ; au contraire, […] s’il prenait pour modèle un objet engendré, le résultat ne serait pas beau.

Ce n’est plus, ici, la trop grande généralité de la Forme qui porte. Dans le Timée, le fait de produire une copie à partir d’un modèle permet d’expliquer la beauté de la copie, sa bonne finalité. Quand Aristote avance qu’« il est possible qu’une chose quelconque soit et naisse semblable à une autre sans être faite à son image », il souligne que la nature n’a pas besoin d’un modèle comme l’artisan. Physique II, 8 affirme l’antériorité de la nature sur l’art17 et l’intériorité à l’agent (ou au moteur, τὸ κινοῦν) du principe causal qui rend compte de la finalité (τὸ ἕνεκά του)18 : il n’est nul besoin d’une explication de type artificialiste pour rendre compte de la finalité observable dans les êtres naturels.

La quadripartition des causes et le concept de « matière »

À l’issue de cette critique, il faut souligner qu’une compréhension finaliste de l’univers demeure commune à Platon et Aristote ; à aucun moment Aristote n’abandonne cette idée. Néanmoins, il défend que Platon a échoué à saisir correctement un schème causal propre à expliquer le devenir physique. La différence qui les oppose sur les causes des phénomènes physiques ou la définition de la matière a été bien étudiée, et elle est surtout bien ressaisie par Aristote lui-même. Ce qui est intéressant, c’est le lien entre ces divergences et le traitement qualifié de « métaphorique » que Platon fait de l’explication physique. Quel est le lien entre ce type de causalité particulier, différent de la typologie aristotélicienne, et le régime discursif du Timée ? Explicitons d’abord brièvement quelles caractéristiques propres à la causalité des Formes platoniciennes la critique aristotélicienne permet de faire apparaître en creux.

À plusieurs reprises, Aristote défend que Platon n’a pas su élaborer une définition correcte des causes19. En Métaphysique A 9, 991a, juste avant l’extrait déjà cité, Aristote établit qu’elles « ne sont cause ni d’aucun mouvement ni d’aucun changement pour <les sensibles> »20, en niant qu’elles puissent être cause motrice ou efficiente21. Elles ne sauraient non plus constituer leur οὐσία, qui leur serait immanente (991a13), et n’apportent donc rien à leur connaissance (πρὸς τὴν ἐπιστήμην). Il ne s’agit pas non plus de causes matérielles, étant donné qu’elles « ne rentrent pas dans la composition de ce qui participe d’elles » (991a14). C’est à la suite de cet examen qu’il décrit le schème démiurgique qui sert dans le Timée et d’autres dialogues à définir l’efficacité causale des Formes.

Même si le démiurge « porte le regard » sur les Formes pour doter l’univers qu’il produit d’une bonne finalité, la critique d’Aristote devrait donc attirer l’attention sur le fait que le finalisme qu’induisent les Formes intelligibles n’est pas le même que celui de la cause finale d’Aristote22. Dès lors, où passe la différence entre cause finale aristotélicienne et la cause élaborée dans le Timée, qu’on peut qualifier de « paradigmatique » (Ferrari, 2003 : 84 ; Fronterotta, 2001 : 153) ? Le reste des critiques d’Aristote invite en outre à considérer le lien de ce type de causalité particulier avec le régime discursif mythique explicitement justifié. Quel est le sens propre de ce type de causalité que Platon formalise d’abord par une image, celle du démiurge ? L’examen des divergences au sujet du concept de matière, lié chez Platon à un discours métaphorique, peut nous aider à répondre.

En Physique I, 9, Aristote fait l’exposé de l’introduction d’un ordre dans la « matière » à laquelle procède le démiurge divin dans le Timée (47e-53b), mais débarrassée de ses métaphores (Couloubaritsis & Stevens, 1999 : 97). Il fait référence à l’assimilation métaphorique de la matière à une « mère » mais met ensuite de côté la forme mythique du récit de Timée en reformulant l’opposition des Formes et de la matrice comme une relation de « contrariété »23. Cette contrariété oppose pour Aristote la Forme — ou la propriété qui survient dans le phénomène en question —, et quelque chose de plus complexe, selon lui, que ce qu’« imagine » (φαντάζειν) Platon, qui distingue un contraire unique de la Forme : la matière, « cause du mal »24, ou non-être. En réalité, selon Aristote, il faut distinguer d’une part la privation de cette propriété et, de l’autre, la matière ou le substrat. Il substitue une relation ternaire (la forme, la matière et la privation) à un « dualisme des principes ultimes » (Lefebvre, 2004 : 297), qui oppose simplement la Forme et la matière. Non seulement, comme le dit D. Lefebvre, « le défaut de ce dualisme est de faire participer toutes choses au mal »25, mais Aristote montre également que la Forme ne saurait tendre à son propre accomplissement ni son contraire à sa propre destruction ; en un sens, seule la fiction peut laisser subsister une telle incohérence. En réalité, si « la matière tend vers elle [la Forme] »26, c’est qu’elle n’est privation, et donc contraire, que « par accident » : c’est la privation en elle qui « périt », mais pas la matière elle-même. La relation ternaire entre forme, matière, et privation, permettrait d’aller au-delà d’un récit mythique qui oppose directement le Bien et le Mal et défend l’attraction incohérente des contraires.

Si l’on efface le démiurge divin de l’explication du Timée, comme Aristote le fait en la traduisant dans les termes d’un hylémorphisme incomplet (forme et matière sans privation), il en résulte que le contraire tend à sa propre destruction ou la Forme à elle-même alors qu’elle n’est en manque de rien27. Aristote lui-même souligne que cette tendance, voire ce désir (ὀρέγεσθαι, ἐφίεσθαι), ressemble à celui de la femelle pour le mâle ou du laid pour le beau28. Tout se passe donc comme si la tension entre deux principes opposés pouvait uniquement être résolue par une tendance contradictoire ou que l’on se trouve réduit à recourir à la figure mythologique du démiurge divin qui produit une « délibération »29 qui seule permet d’expliquer le finalisme présent dans la nature.

« Métaphores poétiques » : mythe et impossibilité logique

Les critiques d’Aristote ne se contentent donc pas de mettre en évidence l’inutilité des Formes platoniciennes pour expliquer les phénomènes physiques, mais elles suggèrent que la tournure mythique de l’explication physique platonicienne seule peut laisser substituer l’absolutisation incohérente des contraires (matière et Forme) ou l’intervention du principe technique pour rendre compte de phénomènes purement naturels pour lesquels la finalité est interne au moteur. On peut formuler l’hypothèse que le caractère mythologique du dualisme des principes qu’Aristote détecte chez Platon est, selon le Stagirite, irréductible. Pour l’approfondir, la critique de la forme mythique des arguments platoniciens qu’on trouve dans le Traité du ciel s’avère utile. Les chapitres 10 à 12 portent principalement sur la question de l’éternité du monde : l’éternité a parte post de l’univers selon Platon représente selon Aristote une contradiction logique30. Après avoir distingué entre ce qui est « faux », c’est-à-dire ce qui, simplement, n’est pas le cas, et ce qui est « impossible » (DC 11), Aristote souligne que l’éternité de l’univers est incompatible avec son caractère généré : « il est impossible […] que ce qui est d'abord non étant soit ensuite éternel »31

Le mythe de l’introduction d’un ordre par le démiurge divin dans la matière permet de conjoindre le caractère généré de l’univers et son éternité. Ce qu’Aristote dénonce comme une contradiction conduit à souligner ce dont l’explication physique doit prioritairement rendre compte selon Platon : le caractère généré du monde exprime le fait qu’il est en mouvement et en devenir, son éternité traduit sa perfection (et la bonté du démiurge). Finalement, ce qui est au centre du récit du Timée, ce qui, même, motive sa dimension narrative et temporelle, c’est bien qu’il importe de souligner la finalité à l’œuvre dans les phénomènes physique sous la forme de l’introduction délibérée d’un ordre bon dans le désordre originaire. Ainsi, le mythe du Timée met en exergue la possibilité de l’émergence d’une qualité bonne, qui trouve une application éthique. C’est en ce sens qu’il est aussi important que l’ordre du monde soit engendré. La critique d’Aristote tend à mettre en évidence que ce phénomène d’émergence n’entre pas dans le cadre d’un discours absolument démonstratif, ou encore scientifique dans le sens où il l’entend. Le « discours vraisemblable » du Timée nous met en possession des conditions d’intelligibilité de notre capacité d’agir qui excèdent un cadre purement logique pour pointer le phénomène d’émergence d’un « ordre » bon, ce qu’Aristote renvoie à un discours « dialectique » (λογικός).

Causalité paradigmatique : démiurgie et finalité bonne

On commence dès lors à discerner pourquoi la forme du « mythe vraisemblable » est essentielle à la physique platonicienne. Il convient, pour finir, de la ressaisir en lien avec le type de causalité que le Timée privilégie, au-delà de son incompatibilité avec la typologie aristotélicienne. Ultimement, ce travail s’attache à faire apparaître le lien entre dualisme des principes et absence de régionalisation du savoir, pour comprendre en quoi la forme de finalité qui caractérise la physique aristotélicienne se distingue de la portée axiologique qui caractérise l’explication platonicienne de la nature. Tout se passe comme si Aristote conserve le finalisme en suspendant toute implication véritablement pratique, conformément à la séparation qu’il défend des domaines pratique et théorique.

Chez Platon, c’est la nature même du démiurge divin qui parfait la participation du sensible aux Formes et l’excellence du modèle qui permettent d’expliquer la finalité bonne qui s’exprime à travers l’univers sensible. Néanmoins, la matière et l’indétermination qui la définit originellement sont tout aussi centrales pour comprendre la structuration de l’univers et des phénomènes physiques ; une hétérogénéité à la causalité (intelligente) du Bien demeure irréductible : « la venue à l’être de notre monde résulta d’un mélange qui réunissait la nécessité et l’intellect »32. Des causes nécessaires s’exercent donc, mais mises au service d’une causalité divine que traduit la finalité de l’agencement produit. Par exemple, « la mise en ordre des éléments et leur naissance » (53c) montre que l’intervention du démiurge permet de comprendre comment on est passé d’un état « dépourvu de proportion et de mesure », ἀλόγως καὶ ἀμέτρως, au « plus beau et au meilleur », κάλλιστα ἄριστά τε33.

La cause « véritablement errante », c’est-à-dire les mouvements irrationnels et fugitifs qui animent la matrice, la matière, avant son information par le démiurge divin, conduit à expliciter le statut ontologique du sensible, par différence avec celui des réalités intelligibles, et d’expliquer son imperfection. Cette différence même, et le fait que l’activité de mise en ordre démiurgique n’annule pas l’effectivité de déterminations étrangères à la finalité intelligente, mais se les subordonne (Brisson, 1974 : 471-8 ; Jelinek, 2011 : 291-2 ; Rashed, 2012 : 64, 69), souligne qu’aucune cause intelligente, pour ce qui est de l’univers physique, ne saurait s’appliquer indépendamment de contraintes matérielles et irrationnelles ; la structuration de l’univers physique est le résultat de leur action conjointe. Néanmoins, cet univers est fondamentalement bon du fait de la subordination de la causalité nécessaire à la causalité intelligente. Conformément à ce que la relecture critique des arguments du Traité du ciel a montré, ce qui est central dans le mythe du Timée, c’est l’émergence de la finalité bonne qui caractérise l’univers sensible. La causalité intelligente n’est pas absolument inaugurale, elle est précédée d’un état de fait qui ne dépend pas d’elle, mais c’est elle seule qui permet de comprendre la manifestation d’une finalité bonne dans le sensible.

On peut dire que les « causes accessoires » prolongent cette contrainte initiale qu’est la « cause errante » : celles-là et celle-ci permettent de mettre en évidence l’irrationalité irréductible des contraintes matérielles qui limitent la réalisation d’une organisation rationnelle et bonne du sensible. Les « causes accessoires » peuvent par exemple désigner les propriétés mécaniques des composants du corps, qui elles-mêmes s’expliquent par les éléments primaires qui les forment34. Cette hétérogénéité est inévitable mais elle est prise en compte de sorte à, par exemple, rendre fonctionnel tel organe qui s’insère dans l’ensemble complexe du corps d’un être vivant qui lui-même fait partie des êtres variés qui expriment la perfection du cosmos.

Non content de qualifier la matière de source d’imperfection, Platon a donc généralisé une qualification axiologique des éléments et déterminations qui entrent dans la composition ou la structuration des phénomènes physiques. Cette dimension axiologique peut être mise au travail à travers la métaphore démiurgique : la rationalité, la finalité de l’univers physique s’explique grâce à l’intelligence à l’origine de sa fabrication. La dimension axiologique de l’explication platonicienne ne se limite pas à la distinction entre intelligent et nécessaire (qu’on peut dans l’absolu retrouver dans la physique aristotélicienne), mais elle désigne également la portée pratique que prend l’explication physique chez Platon, c’est ce que je vais m’attacher à mettre en évidence en conclusion.

Physique et politique : mythe vraisemblable et causalité sensible

On peut franchir un pas et montrer que la dimension axiologique des explications physiques du Timée met en fait en évidence la connexion étroite entre explication physique et coordonnées morales, politiques. C’est ce lien que visait particulièrement l’accusation aristotélicienne de « dire des mots vides » et c’est ce lien que seul le mythe, c’est-à-dire le régime discursif adapté au monde sensible, permet de construire : politique et science physique impliquent de penser une relation de modèle à image qui ne peut se dire qu’à travers le caractère imagé du mythe.

Ce lien de l’explication physique avec une problématique morale et politique est en fait revendiqué par le prologue du Timée. Socrate fait lui-même un lien explicite entre l’objet de ce dialogue et la question politique : malgré l’incompatibilité, pour des raisons dramatiques, d’une référence directe à la République (O’Meara, 2017 : 13-8), Socrate passe en revue la plupart des traits essentiels de la cité idéale qui y est développée, avant d’expliciter le lien qui court de la réflexion de la veille sur la constitution politique au discours qui commence :

Veuillez écouter maintenant ce que j’ai encore à dire sur la constitution que je viens de décrire, quel est à son égard le sentiment que j’éprouve. Ce sentiment s’apparente, me semble-t-il, à celui qu’on éprouve quand, contemplant de beaux animaux, qui sont figurés en peinture ou qui, même s’ils sont vraiment vivants, se tiennent au repos, on ressent l’envie de voir ces animaux bouger, rivaliser au combat en se comportant comme le laisse prévoir leur constitution physique. Voilà bien le sentiment que j’éprouve à l’égard de la cité dont je viens de décrire la constitution35.

Le prologue explicite que le dialogue a pour but de voir le projet d’une cité idéale prendre vie. C’est assigner au discours sur la physique une fonction bien précise : produire la condition d’intelligibilité de notre capacité à agir sur le sensible (Rashed, 2012 : 61)36. Cet objectif explicite le refus platonicien d’opposer savoir pratique, productif et connaissance théorique, comme le préconise Aristote. Comme le Timée l’explicite bien, l’être humain s’insère dans un univers dont il a à imiter la perfection37 et le prologue suggère le rôle explicatif du discours physique comme condition de possibilité de l’action humaine. Le finalisme partout présent dans la description de l’univers du Timée implique de comprendre comment l’opposition du Bien et du nécessaire, centrale pour expliquer les phénomènes naturels, s’applique aussi à l’action humaine.

On en trouve plusieurs indices dans le récit central. D’abord, tout le récit de Timée vise à faire apparaître la cause divine, et l’examen de la cause nécessaire ne sert qu’autant qu’elle permet de comprendre la première :

Voilà bien pourquoi il faut distinguer deux espèces de causes : la nécessaire et la divine. Et c’est l’espèce divine qu’il faut rechercher en toutes choses si on souhaite acquérir une vie de bonheur, dans la mesure où notre nature l’admet ; quant à l’espèce nécessaire, c’est en vue des causes divines qu’il faut la chercher, en considérant que, sans causes nécessaires, il n’est possible ni d’appréhender les causes divines elles-mêmes, qui constituent les seuls objets de nos préoccupations ni ensuite de les comprendre ou d’y participer en quelque façon38.

On peut dire que le but de l’exposé du Timée est à la fois théorique et pratique : il s’agit bien de « comprendre » les causes à l’œuvre dans la démiurgie de notre cosmos aussi bien que d’y « participer en quelque façon », c’est-à-dire « autant que notre nature est capable » d’accéder à une vie heureuse. Le type de « participation » aux causes divines n’est pas explicité en détail, mais on peut renvoyer au passage du Timée sur la « plante céleste » qui donne un sens précis au verbe « participer », μετέχω. L’âme humaine a part au divin par l’exercice de la connaissance et par des pensées vraies, « autant, à nouveau, qu’il est permis à la nature humaine d’avoir part à l’immortalité » (90c2-3). Cette vie humaine la meilleure (ἄριστος βίος) consiste bien en une assimilation au divin : la contemplation et la compréhension (τὸ κατανοοῦν) des révolutions célestes leur rend semblable (ἐξομοιάζω, ὁμοιόω) celui qui s’y consacre, conformément à leur structure même et à celle de l’âme, telle que le mythe l’a exposée39. La distinction entre « causes divines et nécessaires » est une hiérarchie qui redouble, dans l’ordre de la recherche, le processus de structuration du sensible même, qui décline constamment la subordination des contraintes matérielles à une finalité intelligente. En ce sens, non seulement on peut dire que le discours de Timée fonctionne comme l’analogue des actions mêmes du démiurge (Osborne, 1966 : 179), mais la compréhension, grâce au mythe vraisemblable, des phénomènes physiques rejoint l’assimilation éthique de l’être humain au divin. Ainsi, on peut dire en particulier, à la suite de Lee (1966 : 341), que le passage sur la matière constitue avant tout un développement sur le statut de l’image : ce qui importe, ce n’est pas tant la découverte du « réceptable » pour elle-même, mais plutôt la mise au jour des contraintes qui commande toute imitation sensible du divin.

Enfin, sans en proposer un examen complet, il faut relever que la description de l’action du démiurge divin comme activité démiurgique ou artisanale (Brisson, 1974 : 36-39 ; De Fidio : 1971 : 247) est également utilisée pour expliciter l’action du dirigeant de la cité dans la République. Le fait de retrouver la même structure conceptuelle et un lexique identique vérifie l’importance de la causalité paradigmatique et du schème démiurgique pour l’explication physique comme pour le domaine éthique et politique. Jusque-là, les commentateurs ont beaucoup insisté sur un usage des mathématiques commun à la structuration de l’univers du Timée et à l’organisation de la cité des Lois (Pradeau, 2010 : 293-300 ; O’Meara, 2017 : 109-123), sans examiner parallèlement comment le type de causalité à l’origine d’un ordre bon et finalisé dans la République comme dans le Timée était caractérisée de façon identique.

Si le Timée conjoint deux dimensions apparemment contradictoires, c’est-à-dire sa forme mythique, son allure narrative, et la mathématisation des phénomènes physiques indépendante de toute temporalité, il y a fort à parier que la mathématisation des phénomènes physiques a été privilégiée par les études récentes parce qu’on reconnaît là notre propre définition contemporaine de la physique (Brisson, 2019 : 134-5). Mais le sens que Platon confère en propre au discours physique est incompréhensible sans un type de cause qui constitue à la fois le principe d’une explication théorique et une norme d’action pratique (Macé, 2006 : 7). La forme mythique n’est plus alors le symptôme d’un manque de spécification du domaine physique ou de l’inconséquence d’un récit primitif comme Aristote l’avance, mais le régime discursif propre à une explication physique dont la fonction et l’objet spécifique, les étants en mouvement, sont à l’intersection des champs pratique et théorique. Nous sommes, là aussi, comme pour le privilège accordé à la mathématisation, plus aristotéliciens que platoniciens en opposant le littéraire au philosophique ou au scientifique, et en considérant ce mode discursif comme absolument problématique. Au contraire, pour Platon, le mythe se fait le véhicule de la relation adéquate au monde matériel, parce qu’il formule de manière imagée la condition d’image de l’intelligible qui est celle du sensible (Mouze, 2018 : 181, 192-5).

Tout se passe comme si le schème technique, et plus exactement démiurgique, permettait d’isoler un mode de causalité qui consiste à produire tel ou tel phénomène sensible bien finalisé, qu’il s’agisse d’expliquer les phénomènes physiques ou d’élaborer l’action politique. Comme dans le Gorgias (503d6-504a4)40, l’action du philosophe-roi est décrit, dans la République également, en termes démiurgiques41. Les mêmes caractéristiques sont structurantes et permettent de saisir en quoi l’activité politique, comme celle du démiurge du Timée, est productrice42 : le fait de porter le regard sur un modèle intelligible, l’introduction d’un ordre dans l’objet sensible produit qui fait sa bonne finalité et sa ressemblance avec le modèle43.

Le régime métaphorique de la causalité paradigmatique est commun à l’action du démiurge divin et à celle du « démiurge politique » (Morrow, 1953-1954 : 10), cette causalité consiste à produire une copie sensible conforme à l’intelligible. La participation à des causes divines consiste, pour ce qui est des objets physiques, dans la production d’images, qui elle-même trouve écho dans le discours adéquat à des objets en constant mouvement. La formation des images, pour peu que sa conformité au modèle garantisse sa rectitude, sa véracité, loin d’être disqualifiée par Platon, qualifie le mode de causalité propre aux objets physiques, définis par leur matérialité. Ce n’est pas un critère formel qui va définir le discours scientifique et physique (Mouze, 2018 : 181, 187-8), et qui disqualifierait le discours métaphorique, mais bien cette conformité à l’intelligible, toujours en question. On comprend également en quoi le discours physique remplit une fonction de justification préliminaire qui sous-tend la capacité humaine à agir efficacement et de façon normée sur le monde matériel.

On a vu que le discours mythique du Timée n’était pas accidentel, mais explicité et justifié : il constitue le discours ontologique pour dire le sensible jusque dans son absence d’intelligibilité. En un sens, le mythe prend donc en charge, précisément, le saut que nécessite la portée pratique des Formes intelligibles, puisqu’elles ont à informer le rapport humain au sensible. Le schème démiurgique pourrait bien être la traduction platonicienne de l’unité des champs pratiques et théoriques que refuse explicitement Aristote, et ce qu’on a appelé causalité paradigmatique le type de causalité à même d’articuler les domaines physique et politique.

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Notes

1 Tim. 28a1-4 (trad. Brisson, 2017, parfois modifiée légèrement). Retour au texte

2 Tim. 27d6-28a1. Retour au texte

3 Tim. 28b4-c3. Retour au texte

4 Cette idée même a été contestée, par ex. Ferrari (2003 : 92) défend que le modèle n’est pas distinct du démiurge (discuté par Johansen, 2003 : 77). Je commence simplement par un exposé littéral du mythe. Retour au texte

5 Tim. 29a2-b1. Retour au texte

6 Tim. 29c3. Retour au texte

7 Brisson (2019 : 134) souligne la contradiction entre la mathématisation et la dimension temporelle du mythe ; il me semble que c’est suivre Aristote que de défendre que la dimension littéraire constitue le « point faible » du Timée. Retour au texte

8 De gen. et corr. reprend des arguments similaires (Rashed 2005 : 100). Retour au texte

9 Met. A 9, 991a20-27 (ma traduction). Passage parallèle en M, 4, 1079b24-27. Retour au texte

10 Voir Met. E 1, 1025b25 : « […] toute pensée est soit pratique, soit poïétique, soit théorique ». Cette division décrit l’organisation générale des sciences telle que chaque science particulière est assignée dans les Seconds Analytiques I 7-10 à un genre sujet. Retour au texte

11 Aristote circonscrit le domaine pratique : après avoir établi ce qu’était le bonheur, on cherche « comment il faut l’acquérir ». Une recherche « théorique » ne vise qu’à acquérir une connaissance de la chose, indépendamment de toute action matérielle. Retour au texte

12 Met. E 1, 1025b18-21. Retour au texte

13 1217a2-3 : λέγοντες ἀλλοτρίους λόγους τῆς πραγματείας καὶ κενούς. Retour au texte

14 Texte parallèle dans l’E. N. analysé infra. Un peu différemment, Seconds Analytiques I, 22, 83a32-35 : « Laissons donc les Formes, c’est du babillage (τερετίσματά), et si jamais elles existent, elles ne concernent pas notre propos, car les démonstrations portent sur des termes tels que nous les avons dits » (trad. P. Pellegrin), c’est-à-dire une formulation du problème de la prédication en termes de substance et d’accident. Retour au texte

15 E. E. I, 8, 1217b21 : λέγεται λογικῶς καὶ κενῶς. Aristote utilise l’adverbe dérivé du même adjectif. Retour au texte

16 E. E. I, 8, 1217b25-26 et cf. E.N. I, 6 1096b7-31. Retour au texte

17 Phys. II, 8, 199a15-b18. Retour au texte

18 Phys. II, 8, 199b26-33. Retour au texte

19 Cf. Mattéi (2004 : 231-232) sur la quadripatrition dans le corpus, Pellegrin (1990 : 210) sur son utilisation en biologie, (1990 : 215-8) en logique. Retour au texte

20 Met. A 9, 991a1. Retour au texte

21 Voir Lefebvre (2013 : 305) sur tous les extraits qui portent sur l’absence d’une compréhension platonicienne de la cause motrice. Retour au texte

22 Voir Doherty (1961 : 211) pour un exemple de réduction des causes du Timée à la quadripartition aristotélicienne. Retour au texte

23 Phys. I, 9, 192a14 : ἐναντίωσις. Retour au texte

24 Phys. I, 9, 192a15 : τὸ κακοποιὸν. Cf. Tim., 50e1-4. Retour au texte

25 Cf. le texte parallèle de Λ, 10, 1075a-b. Retour au texte

26 Cf. Phys. I, 9, 192a20-34. Retour au texte

27 Phys. I, 9, 192a20-21. Retour au texte

28 Phys. I, 9, 192a22-23 : ὥσπερ  ἂν  εἰ  θῆλυ  ἄρρενος  καὶ  αἰσχρὸν  καλοῦ. Retour au texte

29 Phys. II, 8, 199b26-28. Retour au texte

30 Aristote relève l’incohérence sur le plan « général » comme « physique » (283b17-18 : καθόλου et φυσικῶς). Retour au texte

31 DC 12, 283b17-20 : ἀδύνατον […] πρότερον μὴ ὂν ὕστερον ἀΐδιον εἶναι (trad. Pellegrin). Retour au texte

32 Tim. 47e5-48a2. Retour au texte

33 Voir Tim. 53a7-b7. Cf. Jelinek sur l’opposition entre « ateleological » et « teleological ». Retour au texte

34 Voir par ex., à partir de 53c, les différents types de triangles qui entrent dans la composition des corps (73b-74d). Retour au texte

35 Tim., 19b3-c2. Retour au texte

36 On pourrait opposer que c’est le discours de Critias qui répond au désir de voir les animaux « au combat ». Néanmoins, il n’a pas éclipsé la nécessité de celui de Timée. Retour au texte

37 Tim. 90d1-7 et 24b-c (O’Meara, 2017 : 27, 37). Retour au texte

38 Tim., 68e6-69a5 (trad. modif.). Aristote reprend, tout en s’en distançant, la distinction entre finalité et nécessité, cf. Phys. III, 9 et Pellegrin (1990 : 205). Retour au texte

39 Tim. 90d1-7. Cf. O’Meara (2017 : 27, 37) sur 24b-c et Sedley (1999 : 316-21). Retour au texte

40 Le bon orateur y est identifié aux « autres artisans » (δημιουργοί), qui travaillent « en vue du meilleur (ἐπὶ τὸ βέλτιστον) et en introduisant un ordre (τάξιν) dans leur objet (et τεταγμένον τε καὶ κεκοσμημένον). Cf. Macé, 2006 : 75-79 et Karfik, 2007 : 130-131. Retour au texte

41 En Rep. VI, 500d6-8, il est qualifié de « démiurge de la tempérance, de la justice, et de l’excellence toute entière du peuple ». Retour au texte

42 Le concept de « production », ποιήσις, échappe également à des coordonnées aristotéliciennes (Macé, 2006 : 58). Retour au texte

43 Rep. VI, 484c6-d3 ; VI, 500c9-501c3 ; VII, 520c1-d4 ; VII, 540a4-b7 Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Marion Pollaert, « Explication physique, mythe et causalité des Formes platoniciennes  », Mosaïque [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le 03 décembre 2022, consulté le 14 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/mosaique/419

Auteur

Marion Pollaert

Ancienne élève de l’École normale supérieure de Paris et agrégée de philosophie, Marion Pollaert est actuellement ATER à l’Université de Lille et membre associée du Laboratoire STL (UMR 8163 – CNRS). Sa thèse de doctorat sur Platon, achevée à l’École normale supérieure, au Centre Jean Pépin (UMR 8230) sous la direction de Dimitri El Murr, a pour titre : « Connaissance et action dans la République de Platon : démiurgie politique et fonctions des Formes intelligibles ». Ce travail consiste à éprouver l’hypothèse selon laquelle les Formes intelligibles, qu’il s’agit en général de saisir dans les Dialogues pour répondre à une question d’essence, se trouvent toujours à l’intersection de la connaissance et de l’action. En particulier, l’examen de l’action du philosophe-roi dans la République et son assimilation à un démiurge politique permettent de comprendre la causalité propre aux Formes en nous forçant à réévaluer le lien de l’être et de la valeur.

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