Modalités éthotiques et mise en scène oppositive de deux « faire science » en physique

La théorie des cordes et sa critique par un promoteur d’une vision alternative de la gravitation quantique

DOI : 10.54563/mosaique.452

Résumés

Dans cet article nous cherchons à étudier les modalités discursives et éthiques du faire science en physique en nous intéressant à la mise en scène oppositive entre deux faire science, spécifiquement dans les discours scientifiques de vulgarisation. Pour ce faire, nous nous intéressons aux vifs débats qui animent la communauté scientifique dans le sous-champ de la gravitation quantique. Ces débats, qui opposent d’une part les théoriciens de la théorie des cordes et d’autre part le reste du champ, sont animés par des questions non réductibles à des aspects théoriques internes à l’épistémologie de la physique. Nous observons comment les débats en question s’actualisent dans les discours, de sorte à mettre au jour d’une part le rôle de l’éthos dans le discours scientifique, même dans un domaine comme la physique, et d’autre part, les effets d’une mise en scène du conflit théorique sur l’éthos des uns et des autres. Nous pouvons observer dans les discours scientifiques de vulgarisation comment l’éthos et le faire science « cordiste » se nourrit d’un imaginaire esthétique, mais aussi concordiste voire chamanique, tandis que l’éthos et le faire science de leurs critiques s’ancrent dans l’imaginaire éthique et normatif hégémonique en sciences exactes.

In this paper, we will study the discursive and ethical modalities of faire science in physics by focusing on the opposing staging between two faire science, focusing on scientific vulgarization. To do so, we shall study the lively debates within the scientific community in the subfield of quantum gravity. These debates, opposing string theory theorists on the one hand and the rest of the field on the other hand, deal with questions that cannot be reduced to theoretical aspects internal of physical epistemology. We will see how the debates in question are actualized in discourses so as to bring to light the role of ethos in scientific discourse, even in a field like physics, and the effects of the dramatization of the theoretical conflict on the ethos of each other. We can observe how the “cordist” ethos and faire science relies on an aesthetic, but also concordist or even shamanic imaginary, while the ethos and faire science of their critics are anchored in the ethical and normative imaginary that is hegemonic in the exact sciences.

Index

Mots-clés

Discours scientifique, éthos, mise en scène, faire science, théorie des cordes, Lee Smolin

Keywords

Scientific discourse, ethos, string theory, quantum gravity, Lee Smolin

Plan

Texte

Introduction

Dans cet article, nous proposons d’étudier une controverse interne au sous-champ de la gravitation quantique, qui oppose d’une part les théoriciens des cordes (ou « cordistes ») – c’est-à-dire soutenant la théorie des cordes, popularisée par des scientifiques vulgarisateurs comme Brian Greene ou Michio Kaku – et des physiciens issus d’horizons théoriques divers, mais généralement porteurs de théories alternatives (comme la gravitation quantique à boucles soutenue notamment par Lee Smolin ou Carlo Rovelli). Ces théoriciens cherchent à unifier deux modèles théoriques a priori incompatibles, à savoir la relativité générale et la mécanique quantique, afin, notamment, d’expliquer la gravitation dans un cadre quantique. Il n’est pas nécessaire d’avoir une compréhension fine des théories et domaines en question, attendu que la controverse ne porte pas tant sur des aspects internes aux théories concernées, que sur des aspects méta-scientifiques relatifs au « faire science » des disciplines – c’est-à-dire leur manière de se faire reconnaître comme scientifique. En effet, ladite controverse porte sur la scientificité de la théorie des cordes et sur son statut potentiellement hégémonique qui entraverait l’innovation théorique. Étudier cette controverse permet de mettre au jour : (1) les représentations de chacun de ce qu’est une bonne science et la bonne manière de faire de la physique ; (2) leur posture d’auteur (que nous nommons éthos) dans le débat et en quoi elle participe in fine de cette défense d’une manière légitime de pratiquer la physique ; et (3), corrélativement, une mise en scène spécifique de la controverse qui sert la rhétorique de chacun. En outre, comme nous le montrons dans cet article, la particularité de cette mise en scène est qu’elle participe et procède d’une « externalisation » de la controverse. En effet, la controverse quitte le cadre strict du champ scientifique et se réalise sur une scène éditoriale plus large que celle du discours scientifique pour les pairs, à savoir celle de la vulgarisation scientifique1.

Notre exposé sera organisé en trois parties. Dans un premier temps, nous définirons le concept d’éthos (1) en dressant notre cadre théorique (1.1) ; en envisageant le rôle de la vulgarisation dans l’économie du champ scientifique et la controverse qui nous occupe (1.2) ; et en étudiant l’éthos de la théorie des cordes et de ses défenseurs (1.3). Enfin, dans un second temps, nous étudierons la scénographie et la mise en scène propre à cette controverse (2) en analysant la dramaturgie de la théorie des cordes (2.1) et la rhétorique d’un des opposants principaux à la théorie des cordes, à savoir Lee Smolin (2.2). Enfin, nous conclurons quant aux enjeux de ce type de débat (4).

Éthos et discours scientifique de vulgarisation

Cadre théorique de la notion d’éthos

Notre analyse mobilise notamment la notion d’éthos. Dans ce travail, nous l’entendons selon deux acceptions. Premièrement, comme ensemble de normes prescriptives du champ scientifique — ce que nous pouvons rapprocher des normes mertoniennes2. Deuxièmement, cette notion peut s’entendre, en rhétorique, comme la posture d’un auteur. Sans retracer pour autant toute la généalogie du mot et du concept, il nous paraît pertinent de revenir à la définition aristotélicienne de preuve par l’éthos qui consistait « pour l'orateur à donner par la façon dont on construit son discours une image de lui-même de nature à convaincre l'auditoire en gagnant sa confiance » (Maingueneau, 2002 : 56). L’éthos est donc une stratégie rhétorique persuasive qui vise à construire une image de soi ad hoc. Si cette définition atteste du caractère initialement singulier et oratoire de l’éthos, elle s’étend à présent à d’autres manifestations linguistiques et discursives qu’une prise de parole orale. En effet, l’éthos varie selon divers paramètres : le type de discours (scientifique, politique, littéraire), le genre du texte (article scientifique, compte rendu, poster, communication orale, chapitre d’un ouvrage ou ouvrage entier, dictionnaire), le public et la modalité d’adresse au public (dans notre cas, interne au champ/discours scientifique pour les pairs ou externe au champ/discours scientifique de vulgarisation).

Par ailleurs, il importe d’envisager l’éthos comme une dynamique. Il ne s’agit pas d’une posture figée sur laquelle l’auteur aurait un contrôle total. L’éthos dépend de nombreux paramètres discursifs propres au contexte, aux normes du champ, au type d’argumentaire, au médium, ou à des aspects propres à la sociologisation de l’auteur, comme ses habitus ou son hexis verbale3. En particulier, l’éthos dépend de l’allocutaire et de ses attentes en termes de posture. Lesdites attentent sont nourries par des mondes éthiques, qui agissent comme des réservoirs de stéréotypes — par exemple, nous allons avoir certaines attentes quant à l’éthos d’un artiste, eu égard aux mondes éthiques associés. En conséquence, il s’agit de distinguer trois aspects de l’éthos : l’éthos « discursif » ou « visé » que l’auteur déploie dans sa production ; l’éthos « prédiscursif » ou « attendu » par l’allocutaire ; et enfin l’éthos « réel » et « effectif » qui résulte de l’interaction entre l’auteur scientifique et son allocutaire. Or, cet éthos visé est lui-même divisé en deux catégories selon qu'il est « montré » — lorsqu’il se manifeste simplement dans la manière dont est fait le discours — ou « dit » — lorsqu’un locuteur commente son propre discours. Enfin, si l’éthos varie selon de nombreux paramètres, il s’actualise selon diverses modalités. Il peut être plus ou moins singulier, concret, manifeste, conventionnalisé, ou axiologique (Auchlin, 2001 : 85-88). Cette modalité axiologique de l’éthos résulte d’un retournement de la logique aristotélicienne : le bon orateur n’est plus tant celui qui parvient à gagner la confiance, à faire croire qu’il est un homme bon, mais bien celui qui est bon et qui, en conséquence, fait un bon orateur (Auchlin, 2001 : 86).

Cette modalité axiologique permet de penser l’articulation entre l’éthos comme ensemble de normes du champ scientifique, l’éthos comme posture d’auteur scientifique, et la notion de mondes éthiques comme réservoirs de stéréotypes. En effet, il apparaît que, dans le cadre de l’activité scientifique, l’éthos déployé par un auteur scientifique entretient une relation d’homologie aux normes éthiques et axiologiques de son champ ; sans quoi, il ne serait pas de nature à convaincre. Pour le dire autrement, il faut être considéré comme un bon chercheur pour être convaincant. Est considéré comme un bon chercheur celui qui respecte la morale et les normes de son champ. En outre, il importe d’afficher cette vertu axiologique — qui se manifeste de facto par la conventionnalité et la collectivité de l’éthos scientifique. En effet, l’éthos est ainsi collectif – c’est-à-dire partagé par une communauté – et conventionnel – c’est-à-dire qu’il est attendu que les membres de ladite communauté déploient cet éthos. Le bon chercheur (aspect axiologique) respecte les normes morales et normatives de son champ, dont les normes relatives audit éthos collectif et conventionnel — qui constituent donc le monde éthique du scientifique à partir duquel l’allocutaire définira ses attentes. Par exemple, cet éthos collectif et conventionnel, dont l’éthos individuel doit s’approcher, détermine ou surdétermine le style d’écriture — qui relève de l’éthos montré. Si la marge de manœuvre stylistique dans un article scientifique pour les pairs est relativement limitée, le discours scientifique de vulgarisation permet un déploiement plus libre de l’éthos — nous permettant d’ailleurs d’identifier plus aisément des idéologies ou des imaginaires scientifiques sous-jacents à certaines théories. C’est à ce type de discours que nous allons nous intéresser.

Discours scientifique de vulgarisation et économie du champ scientifique

Les représentations et normes axiologiques de la science et du champ scientifique, les postures d’auteurs et la mise en scène que nous nous proposons d’étudier diffèrent selon qu’elles relèvent du discours scientifique pour les pairs ou du discours de vulgarisation. En effet, les paramètres et les modalités de l’éthos dépendent du genre du discours étudié. Au demeurant, notre article repose sur l’hypothèse qu’il n’y a pas de démarcation radicale entre le discours scientifique et le discours de vulgarisation, mais un continuum d’écrits (Jacobi, 1985 : 7) devant être envisagé à l’intérieur du champ scientifique (Jacobi, 1985 : 11). Pour marquer cette continuité, nous parlons de discours scientifique pour les pairs et de discours scientifique de vulgarisation, soulignant ainsi qu’il s’agit, dans les deux cas, de discours scientifiques4. Dès lors, l’étude de cette controverse nous permet aussi de mettre en évidence d’une part la continuité et la porosité entre les discours scientifiques stricto sensu et les discours scientifiques de vulgarisation ; et, d’autre part, en quoi le « faire science » d’une discipline se joue aussi au niveau de l’éthos et de la vulgarisation scientifique, par un processus d’externalisation.

En substance, légitimer sa pratique ou son domaine comme scientifique implique une certaine posture de la part des auteurs concernés — un certain éthos donc — qui varie selon la scène éditoriale ou le genre de discours scientifiques5. Par ailleurs, nous pouvons considérer que produire des discours vulgarisateurs participe de la posture des auteurs scientifiques. Ainsi, la posture d’un auteur varie selon les discours produits et, inversement, les discours produits participent de la posture de l’auteur (selon des modalités que nous envisagerons au point 2) qui permet de légitimer sa pratique personnelle ou, plus largement, les pratiques du domaine ou sous-domaine, du champ ou du sous-champ auquel il appartient. Cette dynamique entre la posture d’auteur et les discours produits existe parce que les auteurs en question sont auteurs de discours scientifiques pour les pairs et de discours scientifiques de vulgarisation. La posture des auteurs que nous étudions serait tout autre s’ils n’étaient que vulgarisateurs, comme un « troisième homme » (Jacobi, 1985 : 11) entre le scientifique et le profane, alors qu’ils sont chercheurs, scientifiques, académiques, qu’ils occupent des positions parfois importantes dans leur champ, pouvant faire office de figures de proue. La réception de leurs ouvrages de vulgarisation dépend de leur place dans le champ, de leur influence, de leur célébrité interne. Du reste, cet éthos — qu’il se déploie dans des discours scientifiques strico sensu ou des discours scientifiques de vulgarisation — est travaillé et alimenté par les représentations normatives de ce qu’est une (bonne) science (qui constituent les mondes éthiques). Il se déploie dans et par un argumentaire légitimant dont les modalités varient, mais qui peut prendre la forme d’un discours disqualifiant les approches qui, par contraste, sont assignées comme de mauvaises pratiques scientifiques, comme de mauvais « faire science ». Les discours scientifiques que nous étudions, qu’ils relèvent ou non de la vulgarisation, dans toute leur diversité, témoignent donc de pratiques scientifiques, de représentations et de normes, de rhétoriques et d’éthos.

Par conséquent, en étudiant cette controverse, nous étudions la mise en scène oppositive de deux faire science en physique dans des discours scientifiques de vulgarisation en tant qu’ils sont homologiques aux discours scientifiques pour les pairs. Le faire science se joue aussi dans ces discours et les modalités éthiques de ce dernier varieront subséquemment. Aussi, étudier ces discours implique un corpus que nous envisageons comme un corpus d’étude – sur lequel porte notre analyse – et un corpus distingué — qui sert et illustre explicitement notre propos. Notre corpus distingué est constitué d’ouvrages de vulgarisation cordistes rédigés par des cordistes, dont des figures importantes du domaine (notamment Brian Greene) et sur la contre-attaque de Lee Smolin – qui, comme nous le verrons, consiste en un discours disqualifiant. Ce corpus distingué participe donc d’un corpus d’étude plus large, auquel nous faisons référence explicitement quand il est nécessaire. Le corpus d’étude, que nous ne pouvons décrire exhaustivement dans le cadre du sujet qui nous occupe, comprend les ouvrages de vulgarisation de Brian Greene (2000 ; 2007 ; 2012), Michio Kaku (2021), Lee Smolin (2007), Carlo Rovelli (2015), Hossenfelder (2018) ; des conférences données par les protagonistes en question ; des articles de vulgarisation scientifique d’ordre journalistique ; ainsi que des discussions profanes et spécialisées sur divers forums (Reddit ; Stack Exchange ; Quora). Ce corpus représente, en quelque sorte, toute la pluralité du discours scientifique de vulgarisation qui varie selon le genre (vulgarisation journalistique, vulgarisation par les chercheurs eux-mêmes, vulgarisation par des afficionados), le médium et la situation de communication (monographie, article, discussion informelle sur des forums, conférences) ou la place dans l’économie du champ.

L’éthos de la théorie des cordes dans les discours scientifiques de vulgarisation

Pour illustrer comment l’éthos peut s’appliquer à un cas concret en physique, et afin de mieux comprendre le pivot de la controverse qui nous intéresse, nous pouvons chercher à définir l’éthos des cordistes et l’imaginaire théorique dont il participe — qui nourrit les mondes éthiques corrélatifs — tel qu’il se déploie dans les discours scientifiques de vulgarisation. Afin d’illustrer cet éthos, intéressons-nous spécifiquement au titre du premier ouvrage de vulgarisation de Brian Greene, L’univers élégant (Greene, 2000). Le terme élégant est connoté et mélioratif; il est apparenté au vocabulaire esthétique, au vocabulaire du beau, qui s’inscrit dans une rhétorique largement critiquée (Hossenfelder, 2018) , selon laquelle la validité d’une théorie est corrélée à des critères esthétiques (Ananthaswamy, 2018) . Ainsi, de la même manière que l’on croit une bonne personne (éthos axiologique) nous serions peut-être amenés à croire une théorie qui est belle (éthos esthétique). Il nous semble toutefois qu’en rester au registre de la beauté est insuffisant. D’abord, parce que nous n’adhérons pas tant à une théorie parce qu’elle est belle – et il faudrait s’entendre sur ce qu’est une belle théorie ou de belles mathématiques – mais parce qu’un auteur pourvu d’un certain éthos la qualifie de belle et l’explique avec ce registre. Ensuite, parce que l’imaginaire actualisé n’est pas uniquement relatif à la beauté. En effet, le terme élégant nous paraît activer des topoï distincts. Nous dirions aisément d’un paysage qu’il est beau, ou sublime, ou magnifique, mais moins qu’il est élégant. A contrario, nous pouvons dire d’une création ou d’une attitude humaine — ou plus largement d’un être animé — qu’elle est élégante6. L’élégance relève certes de la grâce et de la simplicité, mais il s’agit surtout d’un caractère qui a rapport avec l’humain — par analogie, métaphore, ou lien de subordination.

L’élégance s’exprime aussi dans l’harmonie. L’univers est harmonieux parce qu’il y a un ajustement fin, c’est-à-dire parce qu’il est exactement tel qu’il doit être pour que des êtres intelligents aient pu constater qu’il est exactement tel qu’il est. Cette vision métaphysique et harmoniste de l’univers s’actualise dans une des isotopies les plus saillantes, à savoir celle de la musique, très apparente dans L’univers élégant. La troisième partie s’intitule « La symphonie cosmique » et s’ouvre sur un chapitre appelé « En avant la musique » ; les cordes sont explicitement comparées à celle d’un violon (Greene, 2000 : 234) ; l’auteur parle de musique de la théorie des cordes et considère que l’on peut les pincer théoriquement. Il compare notamment les espaces de Calabi-Yau7 à des instruments de musique dont la taille et la forme produisent des modes vibratoires différentes (Greene, 2012 : 60) ou considère qu’à un niveau microscopique l’univers serait « une symphonie vibrant (sic) la matière » et qu’il s’agit d’un cadre d’analyse élégant (Greene, 2007 : 347). Pourtant, comme le fait remarquer Smolin, critiquant l’argumentaire de L’univers élégant, il n’y a aucune raison de croire que la nature soit simple et élégante (Paura, 2019 : 27). En effet, la mobilisation de cette rhétorique musicale n’est pas sans générer des tensions avec les observations empiriques qui dévoilent une sonorisation de l’univers peu harmonieuse (Pesic & Volmar, 2014) .

Outre les métaphores musicales, nous retrouvons notamment des métaphores relatives aux textures (Katie, 2016). Ainsi, le second ouvrage de Greene s’intitule The fabric of cosmos (Greene, 2007) — fabric désignant la structure d’un objet, mais relevant initialement d’un vocabulaire du textile. Il est par ailleurs sous-titré The Texture of Reality. Nous pouvons par ailleurs relever dans notre corpus des choix lexicaux qui évoquent la possibilité d’une réalité cachée à la connaissance humaine, qui n’est pas sans évoquer la théorie de l’ordre implicite (Paura, 2019 : 98-103). Le terme caché/hidden apparaît ainsi dans les titres des ouvrages ou des interventions de Greene (2012 ; 2018), Carroll ( Something Deeply Hidden, 2019) , Johnson (String theory and the hidden structures of the universe, 2013) , Wadia (String theory and the hidden structure of space-time, 2015) , ou encore Kachru (he Hidden Geometry of Space-Time, 2020) . Carlo Rovelli n’utilise pas de stratégie différente lorsqu’il nomme son ouvrage de vulgarisation Par-delà le visible : La réalité du monde physique et la gravité quantique (Rovelli, 2015) . Outre l’existence d’une réalité cachée, certains auteurs, comme Michio Kaku, s’en réfèrent à Dieu, aux secrets de l’univers, ou encore à une quête cosmique (Kaku, 2021) .

Il reste encore à appréhender le rôle de ces isotopies et de ces métaphores dans l’économie de l’explication scientifique. S’agit-il de pures figurations explicatives, en vue de rendre l’exposé plus compréhensible pour un public de néophytes (Kramar & Ilchenko, 2021) ? Toujours est-il que l’usage des métaphores n’est jamais neutre et, si elles ne traduisent pas toujours une vision analogique, elles génèrent parfois des transferts ou mettent au jour certains aspects de l’objet métaphorisé, tout en en occultant d’autres (Jamet & Terry, 2019 : 7). Les métaphores sont porteuses d’idéologies et peuvent générer des basculements de sens (Jeanneret, 1992 : 112). En effet, ces métaphores, et les discours dont elles participent, construisent un imaginaire – associé à la théorie des cordes – dans lequel puisera l’éthos des chercheurs concernés – éthos qui, rétroactivement, conditionne la réception, interne ou externe au champ, desdits discours et desdites métaphores. Il nous semble que l’éthos effectif des auteurs est un éthos de médiumnité ou de chamanisme. Il peut paraître surprenant d’utiliser un adjectif relatif à une « pseudoscience » ou à des pratiques paranormales et ésotériques. Pourtant, les physiciens qui recourent à ces métaphores donnent l’image d’un univers qui est pourvu de deux réalités, non pas le réel et l’au-delà, mais le visible et l’invisible — ce qui est propre à de nombreuses cultures non occidentales (Abram, 2021) . Le rôle du médium est d’accéder, au moyen de techniques et d’outils que le commun ne maitrise pas, à cet univers invisible8.

Scénographie et mise en scène

La dramaturgie de la théorie des cordes

Les chercheurs cordistes jouissent donc d’un éthos métaphysique et médiumnique. Cet éthos leur confère une certaine autorité externe. En revanche, dans le champ, cet éthos peut jouer contre eux, attendu qu’il peut être jugé non scientifique — autrement dit, l’éthos en question n’est pas en adéquation avec l’éthos conventionnel et collectif, qui s’ancre dans des normes précises. Il nous faut néanmoins encore éclairer le rapport entre l’éthos et la mise en scène. Cette mise en scène, nous l’appréhendons de façon polysémique, c’est-à-dire du point de vue de l’analyse du discours et du point de vue de la dramaturgie. Du point de vue de l’analyse du discours, la notion de mise en scène renvoie à la tripartition proposée par Maingueneau entre scène englobante, scène générique et scénographie.

(1) La scène englobante définit le statut pragmatique du discours. En l’occurrence, il s’agit de discours scientifiques.
 
(2) La scène générique est propre au genre. Il s’agit de discours scientifiques de vulgarisation. Par ailleurs, nous avons rencontré des sous-genres distincts, dont les ouvrages de vulgarisation, les conférences de vulgarisation ou les articles journalistiques, qui reposent néanmoins sur des procédés similaires.
 
(3) Enfin, la scénographie est « la scène de la parole que le discours présuppose pour pouvoir être énoncé » (Maingueneau, 2002 : 65). En l’occurrence, la scénographie est celle d’un sachant, d’un prêcheur, d’un chaman ayant accès à cette réalité cachée et qui nous l’offre comme incroyable et exceptionnelle. Cette scénographie est exacerbée dans le cas des conférences de type TED ou TEDx, où, à bien des égards, le physicien nous apporte la vérité comme un coach de vie nous apporte la dernière méthode pour vaincre la procrastination9. Cette scénographie a quelque chose de sacramental (Yergensen, 2011) .
 

Le second point de vue que nous souhaitons appréhender par le concept de mise en scène est celui d’une narration interne. Il s’agit d’étudier comment se racontent les découvertes en physique, comment se raconte la théorie des cordes, comment se raconte sa nécessité. Pour étudier cette narration, considérons notre propre contextualisation. En effet, notre manière d’expliquer ces points théoriques n’est pas neutre ou vierge de lectures — puisque pour l’expliquer il faut lire et, a priori, lire de la vulgarisation. Notre exposé actualise les motifs narratifs hégémoniques. Ainsi, nous avons expliqué que la théorie des cordes était une théorie candidate pour unifier la théorie de la relativité générale et la physique quantique qui, respectivement, concerneraient l’infiniment grand et l’infiniment petit. Il s’agit d’un topique presque figé tant nous le retrouvons tel quel dans de nombreux discours qui visent à la vulgarisation10, et que nous avons réutilisé de façon automatique.

Que cette manière d’expliquer les choses ait pu poursuivre un objectif didactique, il n’en reste pas moins que, indépendamment de son objectif, il s’agit d’un choix de présentation qui s’est autonomisé et qui existe, de façon doxique, indépendamment de toute réflexion quant à ses aspects historiographiques. Elle permet de narrer l’irréconciliabilité de la relativité générale et la physique quantique qui doivent être unies dans et par « une équation ultime »11, l’« équation de Dieu » (Kaku, 2021) . Elle permet par ailleurs de disqualifier certains physiciens – c’est-à-dire ceux qui n’adhéreraient pas à cette lecture oppositive et qui n’y verraient pas une quête – comme le fait Greene (2000 : 216). Nous avons ainsi relevé quelques oppositions prégnantes.

Théorie Relativité générale Physique quantique
Imaginaire Imaginaire cosmologique (l’infiniment grand) Imaginaire microscopique (l’infiniment petit)
Sociologie Théorie d’un seul homme (Albert Einstein) Théorie d’un collectif (Planck, Young, Bohr, Schrödinger, Heisenberg, de Broglie, etc.)
Métaphysique Déterminisme ; relativisme ; espace-temps Indéterminisme ; aléatoire ; chaos ; « effervescence quantique violente » (Greene, 2000 : 213)

Cette structuration discursive efface plusieurs aspérités. Par exemple, Einstein a travaillé sur la physique quantique en décrivant le phénomène photo-électrique. En outre, elle s’appuie sur une vision romancée de la recherche : Albert Einstein, s’ennuyant dans son bureau des brevets, découvrant (presque) seul, la relativité générale. Elle occulte ainsi les contributions fondamentales de Lorentz, Poincaré, Hilbert, Minkowski. Il n’est, par ailleurs, guère pertinent d’opposer une théorie à un ensemble de théories. D’ailleurs, ce récit doxique s’appuie sur des anecdotes devenues apocryphes, censées subsumer les divergences de vues — Einstein aurait ainsi refusé l’indéterminisme quantique arguant que Dieu ne joue pas aux dés. Enfin, les récits alternatifs ne peuvent exister que par l’outrance contrastive — ainsi d’aucuns accusent Einstein d’avoir plagié la théorie (Eisenstaedt, 2005), comme s’il était impossible d’envisager une dynamique non individuelle.

David contre Goliath ; Smolin contre les cordistes

Aussi, dans ce contexte oppositif, les protagonistes cordistes sont autant de salvateurs qui, par une équation magique, vont enfin unifier l’irréconciliable — les théoriciens en question se posant souvent comme des héros, dans des récits presque hagiographiques (Yergensen, 2011 : 166), capables de transformer les échecs en triomphe (Ritson & Camilleri, 2014 : 211). Toutefois, d’autres théories existent, d’autres approches sont possibles. Suite à la publication de l’ouvrage Rien ne va plus en physique de Lee Smolin (Smolin, 2007) , la problématique relative à la théorie des cordes a été externalisée et est devenue connue du grand public, suscitant de nombreux débats dans des sphères profanes (Ritson & Camilleri, 2014 : 195). L’ouvrage est motivé par deux constats : premièrement la théorie des cordes ne respecte pas les critères poppériens ; deuxièmement, il y a un monopole des études sur la théorie des cordes — Carlo Rovelli a ainsi montré qu’en 2000, il y avait 69 papiers en théorie des cordes pour 25 en théorie de la gravitation à boucle (Paura, 2019 : 29). Si les réponses des cordistes aux accusations du camp adverse ont largement été étudiées (Ritson & Camilleri, 2014) , la stratégie et l’éthos de Smolin ont suscité moins d’intérêt. Pourtant, la dernière partie de son ouvrage mérite notre attention. En effet, elle quitte le champ théorique et le débat épistémologique pour déplacer la critique sur le pan sociologique en déployant une série d’oppositions.

Smolin développe une narration autobiographique en racontant son désarroi en tant qu’étudiant face à la rigidité des physiciens d’un côté et à l’aspect éthéré des philosophes de l’autre (Smolin, 2007 : 430). Sa vision des sciences aurait alors été radicalement modifiée par la lecture de l’ouvrage du philosophe Feyerabend, Contre la méthode (Feyerabend, 1975) . Il raconte ses multiples rencontres avec Feyerabend, tout en exposant la vie extraordinaire de ce dernier dans un récit qui, par contamination, semble porter sur Smolin lui-même. Feyerabend lui aurait prodigué de précieux conseils quant à la médiocrité du monde académique (Smolin, 2007 : 432). Il cherche par la suite à définir ce qu’est la science et le pourquoi de sa réussite. Pour Smolin, la science a connu le succès parce que les scientifiques constituent une communauté définie et maintenue par l'adhésion à une communauté éthique et à une communauté imaginative commune. Ces communautés sont respectivement caractérisées par l’acception (ou dans le cas contraire le rejet) de toute théorie démontrée par une argumentation rationnelle appliquée à des indications expérimentales publiquement accessibles ; et par la croyance en l’inévitabilité du progrès et l’ouverture d’esprit (Smolin, 2007 : 446-449). Il introduit au chapitre suivant une troisième opposition entre les visionnaires et les artisans (Smolin, 2007 : 455-486), les scientifiques combinant les deux caractères étant rares (Smolin, 2007 : 459) — cette opposition repose par ailleurs sur la distinction kuhnienne entre science normale et période révolutionnaire12.

Cette dernière opposition est centrale dans l’argumentaire de Smolin, qui produit un renversement rhétorique. En effet, selon lui, la physique est toujours dans une période révolutionnaire qui requiert donc des visionnaires. Le problème est, toutefois, que l’on continue à pratiquer une science normale, une science d’artisans. Enfin, les cordistes seraient des artisans poussés à travailler comme des visionnaires — qu’ils ne sont donc pas ( Smolin, 2007 : 461) ; d’où leur échec. Les deux derniers chapitres de l’ouvrage cherchent à expliquer pourquoi, malgré ledit échec, les cordistes ont une position hégémonique. Ainsi, le pénultième chapitre se consacre principalement à une critique académique d’occupation des postes, de centralisation des pouvoirs et d’hégémonie scientifique par les cordistes. Pour Smolin le monde de la science académique est ainsi « confronté à un phénomène sociologique ». Il ajoute : « je pense effectivement que l'éthique des sciences a été dans une certaine mesure corrompue par le genre de pensée de groupe dont il a été question […] » (Smolin, 2007 : 512). Le dernier chapitre vise à définir une série de mesures à prendre pour améliorer les choses.

Smolin tisse un réseau d’oppositions qui déploie un éthos lui permettant de disqualifier la physique cordiste. Il s’autodécrit comme un être de volonté, qui combine la rigueur des physiciens et l’intérêt philosophique ; il est par ailleurs visionnaire et artisan (p. 459) et versé dans l’épistémologie — il cite longuement Feyerabend, mais aussi Popper, Lakatos ou Kuhn. Smolin déploie un imaginaire d’une bonne science chimiquement pure où l’épistémologie s’oppose au fonctionnement interne du champ, qui ne serait qu’un biais à corriger. Sa posture l’autorise à discuter du fonctionnement de la science qui est corrompue par ces phénomènes sociologiques. Son éthos, relève de la phronesis (Granjon, 1999) , la sagesse pratique, la capacité à s’élever au-dessus des débats, et de la parresia (Fruchaud & Bert, 2012) , qui relève du franc-parler, de l’obligation à prendre la parole dans des contextes importants. Ces deux vertus sont importantes dans le bon fonctionnement d’une société démocratique. Nous pouvons filer la métaphore et considérer que, dans le bon fonctionnement d’une science éthique, il importe parfois, selon Smolin, de faire preuve d’une sagesse surplombante et d’un franc-parler, quitte à provoquer une crise dans son champ. En externalisant le débat, Smolin se pose comme le défenseur de la vraie et bonne science par opposition à la théorie des cordes, qui a abandonné l’empirisme et le falsificationnisme poppérien — ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être qualifié de « poperrazzi » (Ritson & Camilleri, 2014 : 209).

Conclusion : externalisation du débat et mise en scène de la controverse

La relativité générale, décrite comme la construction d’un seul homme qui s’ennuyait dans son bureau, aurait révolutionné notre manière d’appréhender l'espace, le temps, le cosmos, l’infiniment grand. La physique quantique, a contrario, est généralement représentée comme la science de l’infiniment petit, du complexe, de l'incompréhensible étrangeté. Ces deux théories incompatibles doivent être réunies, selon les spécialistes de la théorie des cordes, dans une équation ultime en vue de comprendre les secrets de l'univers. Dans un récit presque cosmogonique qui entérine cette série d'oppositions topiques, les cordistes se posent comme des sachants qui ont touché une vérité cachée de l'univers. Cette rhétorique rend plus perméable que jamais la frontière entre physique et métaphysique, ouvrant la voie aux interprétations concordistes et ésotériques. Ainsi, selon leurs détracteurs, les cordistes se perdent dans des abstractions mathématiques et dans leur amour du beau, s’éloignant en conséquence de l’idéal poppérien empirique de la science. En publiant son ouvrage, Smolin pose la première pierre d’une littérature critique vis-à-vis de la théorie des cordes et externalise la controverse.

À l'épistémologie céleste des cordistes, Smolin oppose une sociologie, vue comme corruption, qui retient la physique au niveau du sol. Cette lutte théâtralisée a pour scène englobante le discours scientifique ; pour scène générique l'ouvrage de vulgarisation, la conférence scientifique, ou grand public, les articles scientifiques, parfois des thèses qui cherchent à étudier la rhétorique ou la sociologie de la théorie des cordes. La scénographie dressée par Smolin est celle d’une grande lutte entre deux faire science : d’un côté, celui d’une science qui a abandonné la réfutation empirique ; de l’autre une science qui veut revenir aux fondamentaux éthiques de la pratique ; d’un côté une science qui s'est perdue dans la rhétorique et la sociologie, une science qui se méprend sur son statut paradigmatique ; de l’autre une science qui veut renouer avec une épistémologie visionnaire. Pourtant, derrière cette opposition scénographiée apparaît d'une part la facticité d'un récit générateur d'oppositions qui ne sont finalement pas aussi dichotomiques et étanches qu’elles le paraissent et, d'autre part, une étrange similitude entre la posture d'auteurs qui paraissent s'opposer dans leur vision de la science. En effet, de la même manière que les cordistes pensent détenir la vérité et pouvoir sauver la physique avec leur théorie du tout, Smolin et les critiques ultérieurs de la théorie des cordes pensent sauver la physique en révélant non pas la vérité de l'univers mais la vérité de la corruption de la bonne science toujours hypostasiée, toujours pensée comme vraie, jamais appréhendée en considérant que la rhétorique et l’ancrage social ne sont pas des tares, mais des composantes essentielles de l’activité et du discours scientifiques.

Bibliographie

ABRAM D., 2021, Comment la terre s'est tue, Paris: La Découverte.

ANANTHASWAMY A., 2018, « How the belief in beauty has triggered a crisis in physics », Nature.

AUCHLIN A., 2001, « Éthos et expérience du discours : quelques remarques », dans Politesse et idéologie. Rencontres de pragmatique et de rhétorique conversationnelle, Louvain : Peeters, p. 77-95.

BOURDIEU P., 1976, « Le champ scientifique », dans Actes de la Recherche en Sciences Sociales, p. 88-104.

BOURDIEU P., 2003, Méditations pascaliennes, Paris: Seuil.

CABOT Y., 2021, « Le critère de démarcation de Popper et la thèse de Duhem-Quine », Philonsorbonne, Volume 15, p. 11-29.

CARROLL S. M., 2019, Something Deeply Hidden, New York : Dutton.

DESBOIS S., 2013, « La Structure des révolutions scientifiques, de Thomas Kuhn », dans Histoire de philosophie des sciences, Paris: Éditions Sciences Humaines.

DESCOLA P. et LACROIX A., 2021, « Philippe Descola : “Rendre visibles des choses invisibles" », Philosophie magazine.

DURAND P., 2014-2016, « Hexis », dans Le lexique socius.

DURAND-PARENTI C., 2013, « La théorie des cordes en fanfare », Le Point.

EINSTEIN A., 2001, La relativité, Paris : Payot.

EISENSTAEDT J., 2005, « Einstein ou Poincaré ? », Pour la science.

FEYERABEND P., 1975, Against method, outline of an anarchist theory of knowledge, Londres: New Left Books.

FRUCHAUD H.-P. & Bert, J.-F., 2012, « Un inédit de Michel Foucault : "La Parrêsia". Note de présentation », Anabases. Traditions et Réceptions de l'Antiquité, vol. 16, p. 149-156.

GAILLARD R., 2018, « Réunir relativité générale & mécanique quantique : L’enjeu de la physique théorique du 21e siècle pour comprendre les mystères de l’univers », Echoscience.

GRANJON M.-C., 1999, « La prudence d'Aristote : histoire et pérégrinations d'un concept », Revue française de science politique, vol. 1, p. 137-146.

GREENE B., 2000, L'Univers élégant, Paris: Robert Laffont.

GREENE B., 2013. String Theory.

GREENE B., 2007, The Fabric of the Cosmos: Space, Time, and the Texture of Reality, New York: Random House.

GREENE B., 2012, La Réalité cachée: Les univers parallèles et les lois du cosmos, Paris: Robert Laffont.

GREENE, B., 2018, « Brian Greene: Making Sense of String Theory & the Hidden Universe », Futurism.

GROUSSON M., 2009, « Théorie des cordes : elle sert enfin à quelque chose », Science et vie.

HOSSENFELDER, 2018, Lost in Math: How Beauty Leads Physics Astray, New York: Basic Group.

JACOBI D., 1985, « Sémiotique du discours de vulgarisation scientifique », Semen, Issue 2.

JAMET D. & TERRYA., 2019, « Principes et fonctions de la métaphore en langue de spécialité dans un cadre cognitiviste. Théorie et étude des métaphores de la crise économique (allemand, anglais, français) », dans La métaphore dans le discours de spécialité.

JEANNERET Y., 1992, « Le choc des mots : pensée métaphorique et vulgarisation scientifique », Communication & Langages, Volume 93, p. 99-113.

JOHNSON C., 2013, String theory and the hidden structures of the universe.

KACHRU S., 2020, The Hidden Geometry of Space-Time.

KAKU M., 2021, The God Equation : The Quest for a Theory of Everything, New York: Doubleday.

KATIE A., 2016, Metaphors of Cloth in Popular Physics.

KNOOPS R., 2014, Where are those extra dimensions in the string theory?

KRAMAR N. & ILCHENKO, 2021, « From intriguing to misleading: The ambivalent role of metaphor in modern astrophysical and cosmological terminology », Amazonia Investiga, vol. 10, n° 46, p. 92-100.

LE GAL T., 2020, Big Bang : « Le fantasme est de trouver l’équation ultime », raconte l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet.

MAINGUENEAU D., 2002, « Problèmes d'éthos », Pratiques, 113-114, p. 55-67.

MAINGUENEAU D., 2014, « Retour critique sur l'éthos », Langage et société, 3, p. 31-48.

MATHIEU, 2010, « Dossier : la théorie des cordes (1/2), l’impossible réconciliation du micro et du macro », Podcast Science.

MERTON R. K., 1973, «The normative Structure of Science», dans The Sociology of Science : Theoretical and Empirical Investigations, Chicago: University of Chicago press, p. 267-278.

PAJOT P., 2020, « L’astrophysicien Jean-Pierre Luminet nous parle de son nouveau livre "L’écume de l’espace-temps" », Science et Avenir.

PAURA, R., 2019, Studies on the popular reception and misconceptions of contemporary theoretical physics, Pérouse: Università degli studi di perugia.

PESIC P. & VOLMAR A., 2014, « Pythagorean Longings and Cosmic Symphonies: The Musical Rhetoric of String Theory and the Sonification of Particle Physics », Journal of Sonic Studies.

RADALL L., 2005. « L'équation ultime pour la physique », La Recherche.

RITSON S. & CAMILLERI K., 2014, « Contested Boundaries : The String Theory Debates and Ideologies of Science », Perspective on science, p. 192-227.

ROVELLI C., 2015, Par-delà le visible : La réalité du monde physique et la gravité quantique, Paris: Odile Jacob.

SMOLIN L., 2007, Rien ne va plus en physique ! L'échec de la théorie des cordes, Paris: Points.

TOMA A., 2010, La diversité langagière translinguistique dans l'expression de l'exception scientifique, Diversité et Identité Culturelle en Europe, p. 142-157.

VAN CAEMERBÈKE O., 2017, Théorie des cordes : où en est-on aujourd’hui ?

WADIA S., 2015. String theory and the hidden structure of space-time.

WAGNER A.-C., 2010, « Champ », dans: Les 100 mots de la sociologie. Paris : Presses universitaires de France.

YERGENSEN, B., 2011. Secular Salvation : Sacred Rhetorical Invention in the String Theory Movement. Lincoln: University of Nebraska-Lincoln.

Notes

1 Chez Bourdieu, la notion de champ définit un « microcosme social relativement autonome […] régi par des règles qui lui sont propres et se caractérise par la poursuite d’une fin spécifique » (Wagner, 2010 : 50). Retour au texte

2 Merton est un sociologue qui s'est intéressé à ce qu’il nomme l’éthos de la science — dans son sens anglophone, c’est-à-dire comme ensemble de valeurs ou système de croyances. Il a ainsi défini quatre normes constitutives de la communauté et de la pratique scientifiques, à savoir l’universalisme, le communalisme, le désintéressement et le scepticisme organisé (Merton, 1973 : 267-278). Retour au texte

3 L’habitus est le produit de l’incorporation des normes d’un champ, aussi [il] engendre des pratiques immédiatement ajustées à cet ordre, donc perçues […] comme […] adéquates » (Bourdieu, 2003 : 207-208). Cet habitus évolue en fonction des contextes de socialisation quoiqu’il garde une certaine inertie. Nous pouvons donc appréhender en quoi l’habitus du chercheur participe de son éthos. L’hexis, quant à elle, est « l’expression dans et par le corps lui-même […] de cet habitus » (Durand, 2014-2016). La manière dont s’habille la personne, dont elle occupe l’espace, dont elle se tient, relève de l’hexis et, de fait, participe aussi de la posture de l’auteur, de son éthos. Retour au texte

4 Nous reprenons et adaptons à notre propos la tripartition proposée par Toma (2010). Retour au texte

5 Notons que se légitimer comme science implique aussi d’occuper la scène de la vulgarisation. Légitimer sa pratique scientifique implique de la légitimer auprès des pairs, de façon interne au champ ou au sous-champ, mais aussi de façon externe par les écrits de vulgarisation (Jacobi, 1985 : 12). Retour au texte

6 Nous avons réalisé une brève recherche de corpus sur Sketch Engine. Sur un échantillon de cent occurrences, l’adjectif élégant se rapporte majoritairement à des objets humains, des personnes, des lieux ou des architectures, ou des usages langagiers. Nous avons trouvé quelques usages relatifs à l’alcool et aux parfums (un vin élégant, par exemple) ainsi qu’un usage mathématique (une démonstration élégante). Ces résultats sont corroborés par les définitions lexicographiques fournies dans le dictionnaire du Trésor de la Langue Française (TLF). Retour au texte

7 Les espaces de Calabi-Yau sont des constructions mathématiques dont la définition est incompréhensible pour des non-mathématiciens. Dans ces circonstances, on conçoit combien les métaphores ne sont pas des ornements superfétatoires, mais participent d’une « pensée métaphorique » (Jeanneret, 1992 : 105) qui permet d’expliquer des concepts abstraits. Retour au texte

8 Cela n’est pas sans nous évoquer les propos de Philippe Descola dans une interview. Il explique ainsi : « Les chasseurs d’Amazonie, animistes, ont une perception sensible du monde qui leur permet de détecter la présence d’esprits dans la forêt. […] Un ingénieur du Cern débarquant dans la forêt ne verra, lui, jamais d’esprit ! Maintenant, imaginons qu’un Achuar d’Amazonie aille visiter l’accélérateur de particules du Cern, à Genève. Incapable de déchiffrer les données numériques, il ne comprendra pas qu’il se trouve dans un lieu où l’on cherche à détecter la présence et la trajectoire de neutrons invisibles » (Descola & Lacroix, 2021). Il nous semble qu’en soi, seuls les physiciens comprennent, ici, ce que l’on cherche à détecter et perçoivent donc cette réalité qui restera invisible aux profanes. Retour au texte

9 Les conférences TED sont des conférences destinées au grand public organisées par l’association The Sapling Foundation. Les conférences TEDx sont des conférences indépendantes qui s’inscrivent dans la même imagerie, la même philosophie, le même canevas et, in fine, la même scénographie. Par exemple, chaque exposé doit durer moins de 18 minutes pour capter au mieux l’attention. Les sujets vulgarisés sont nombreux — quoique l’on retrouve effectivement de nombreuses interventions sur la procrastination, la motivation ou la productivité au travail. Ainsi, plusieurs TEDx ont été organisé sur la théorie des cordes par Greene (2013), Wadia (String theory and the hidden structure of space-time, 2015) ou Knoops (2014). Retour au texte

10 Nous ne pouvons énumérer in extenso tous les exemples du corpus. Nous retrouvons toutefois ce topos chez de nombreux auteurs ou journaliste dont Van Caemerbèle (2017), Grousson (2009), Mathieu (2010), Durand-Parenti (2013), Gaillard (2013), Le Gal (2020), Pajot (2020), ou Greene lui-même (2000). Retour au texte

11 Terme très populaire, notamment attesté dans la revue La Recherche (Radall, 2002). Retour au texte

12 Cette distinction a été établie par Thomas Kuhn dans son ouvrage La structure des révolutions scientifiques en 1962. Pour Kuhn, le progrès scientifique est discontinu. L’histoire des sciences serait ainsi marquée par des périodes de stagnation et des périodes de rupture (Desbois, 2013 : 163). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Adrien Mathy, « Modalités éthotiques et mise en scène oppositive de deux « faire science » en physique », Mosaïque [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le 03 décembre 2022, consulté le 14 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/mosaique/452

Auteur

Adrien Mathy

Adrien Mathy est responsable scientifique au sein de la bibliothèque de l’Université de Liège (ULiège Library/ULiège) et doctorant au Centre de Sémiotique et Rhétorique de l’Université de Liège, en Belgique (CESERH/ULiège). Ses thèmes de recherches concernent l’analyse du discours et, spécifiquement, du discours scientifique ; l’épistémologie et l’histoire de la linguistique ; ainsi que la formalisation en linguistique. Il travaille par ailleurs sur les questions relatives à la littératie informationnelle (information literacy) dans le milieu universitaire.

Droits d'auteur

CC-BY